L’atterrissage fut brutal. Après dix mois de home working californien paisible, je suis à nouveau dans le feu de l’action. C’est la même chose depuis dix ans et j’ai beau essayer chaque année de m’y habituer: être journaliste au Festival de Cannes me met à genoux en deux temps, trois mouvements et quatre projections de films. Je dors peu, je mange mal, et surtout, je ne vois presque plus mon petit garçon. Il répète, chaque matin quand il me voit partir (et encore, je pars régulièrement avant son réveil), avec une pointe de déception dans la voix: « Maman travaille ». Quand il me demande de m’allonger près de lui dans le lit, je lui réponds là encore que je dois finir un papier ou que je dois filer. « Désolé mon chat, maman travaille ». Ses petits yeux de merlan frit allument évidemment tous les interrupteurs de la culpabilité dans mon coeur mais la vie est ainsi faite. Je suis mère et je bosse à temps plein dans un milieu qui m’occupe bien plus que 38 heures par semaine. Voici les sentiments qui me traversent depuis mon retour sur le continent européen et mes journées chargées. Je suis sûre que toutes les mamans qui travaillent les ont déjà ressentis un jour…
La tristesse
Tu quittes la maison sur la pointe des pieds et tu fermes la porte doucement. Dans la pénombre de la chambre de ton enfant, tu as entendu sa respiration régulière, preuve d’un sommeil encore lourd. Le jour se lève timidement, il se réveillera bientôt mais tu ne sentiras pas son petit corps chaud contre le tien ce matin. C’est lundi. Chaque pas que tu poses sur le trottoir t’éloigne un peu plus de tes jolis souvenirs du week-end qui file aussi vite que les heures s’écoulent lentement pendant la semaine. Tu as le coeur gros et les yeux humides.
La frustration
Tu as attendu ce moment toute la journée: tu te réjouis de rentrer, de préparer son plat préféré, de lui lire une histoire. Mais quand tu passes la porte, tu es accueillie par des cris et des larmes. Ton enfant est fatigué, il n’a envie de rien, pas même de ta tendresse. Tu avais imaginé une fin de journée parfaite, mais au lieu de ses petits bras autour de ton cou, tu as plutôt envie de lui agripper le poignet pour l’intimer de se calmer. Tu as déjà haussé la voix alors que tu ne le voulais pas. Tu perds patience. Tu avais besoin d’amour pour calmer ton coeur en vrac et rien, non rien, ne se passe comme tu l’avais espéré.
La colère
Tu t’apprêtais à partir du bureau quand ton chef t’a convoquée pour une réunion de dernière minute. Tu perds une heure dans les embouteillages ou bien le métro dans lequel tu te trouves est à l’arrêt pour une durée indéterminée. Tu t’énerves contre le monde entier, contre tous ceux qui ne comprennent pas que tu veux bien être une mère qui travaille mais que tu as aussi envie et besoin d’être une mère tout court. Une mère qui tient ses promesses et rentre à l’heure pour coucher ses enfants.
La fierté
Les jours où tout va bien, et il y en a sinon tu ne continuerais pas, tu te dis que tu es fière d’être une femme d’aujourd’hui, qui mène sa vie de famille de front avec une carrière intéressante. Tu es indépendante financièrement, tu es avec le père de tes enfants parce que tu l’as choisi et non pas parce que quelqu’un t’y a obligé. Ton enfant aime te regarder t’apprêter pour aller travailler. Tu sais qu’il parle de tes voyages professionnels à ses copains et qu’il est content de leur raconter ce que sa maman fait de ses journées pendant que lui use ses culottes sur les bancs de l’école. Un jour d’ailleurs, il fera le même travail que toi, il te l’a dit.
La jalousie
Tu leur confies ton enfant pour la journée et tu le sais en sécurité. Tu ne doutes pas de leurs attentions à son égard et de l’affection qu’il leur porte. Et pourtant tu ne peux pas t’empêcher de les jalouser: l’accueillante de la crèche, la maîtresse d’école, la grand-mère, le papa même parfois, auront la chance de passer une journée à regarder ton gamin grandir pendant que tu auras le nez devant un écran d’ordinateur. En les imaginant ensemble au square, en train de partager un goûter ou une plaisanterie, tu détestes brièvement celui qui, pourtant, te soulage dans ton organisation quotidienne.
La distraction
Au bureau, ton portable n’est jamais bien loin: l’école pourrait t’appeler ou ton mari qui aurait eu un empêchement et qui ne pourrait du coup pas aller le chercher à la crèche. A la maison, idem: cette fois, c’est ton chef qui risquerait de t’envoyer un email te demandant de vérifier telle ou telle chose. Depuis que tu es mère et que tu as repris le travail, ton cerveau n’est plus jamais concentré sur une seule et même tâche. Tu es perpétuellement ailleurs, toujours un peu distraite, en train d’organiser le planning des heures qui suivent, sans plus jamais profiter du moment présent.
La capacité à relativiser
Avant, tu faisais une montagne des problèmes rencontrés au bureau. Maintenant tu sais que si c’est important et qu’il s’agit de faire son job correctement (ne serait-ce que pour le garder), ce n’est pas ça qui compte vraiment dans la vie. Ce qui importe se trouve ailleurs: ça les pieds qui dépassent d’une couette à l’effigie des Pyjamasques. Tu as appris à relativiser et à hausser un peu plus souvent les épaules. On te fait croire que tu es indispensable et que le monde s’arrêtera de tourner si tu dévisses de ton siège en cuir. Mais il n’y a qu’une seule personne pour laquelle tu es réellement irremplaçable, une seule qui ne peut se passer de ton odeur, de ton rire, de ta main et elle t’attend à la maison.
La joie IMMENSE
Tu vois arriver la fin de journée ou mieux encore, le week-end avec enthousiasme, excitation, délectation. Tu décomptes les heures, puis les minutes, avant la libération et les retrouvailles. Cette même joie n’est pas incompatible à celle ressentie le lundi matin après un week-end chargé quand vient le temps de te débarrasser temporairement de ton enfant.
23 comments
Tu décris vraiment très bien ce que je ressens en tant que Working mom. La culpabilité de devoir partir tot matin et de rentrer tard le soir. De ne pas avoir des horaires comme tout le monde. La jalousie et la culpabilité, le portable perso en réunion jamais très loin. Et ce soir c’est le week end. On se lève presque aussi tôt mais cette fois ci on a pas minuter le câlin.
c’est exactement ça ! un melting pot d’émotions en une journée qui se termine en fin de semaine par la joie d’être en we !! mais pour aurant, je sais que je ne pourrai pas être mère au foyer !
Moi parfois j’en rêve… Mais ça dure quelques heures et puis je me dis: non, en fait non.
Très bien décrit, ce mélange de fierté et de frustrations…du sacrifice, mais du bénéfice mélangés tant bien que mal. On peut trouver un équilibre entre ces deux options quand on a la chance de pouvoir faire des horaires « convenables » et en bonus, comme j’en avais la chance, d’avoir un temps partiel ; mais je crois que la clé réside quand même dans notre envie d’avoir aussi du temps pro « enrichissant » (dans tous les sens du terme!) et du coup d’être droit dans nos bottes en allant travailler. Alors c’est tellement plus facile, pour nous comme pour eux, quand ça devient une envie et non uniquement une contrainte!
Mes horaires sont à la fois pénibles et à la fois beaucoup plus flexibles que plein d’autres jobs. Il y a vraiment du bon et du moins bon. Comme dans tout. Mais c’est vrai que depuis l’arrivée d’Ezra, un mi-temps me fait fantasmer…
Une très belle description de ces ressentis parfois contradictoires, et qui fait qu’on se sent rarement parfaitement à sa place, en tant que mère.
Les fois où ça arrive, où on se sent profondément à sa place, c’est VRAIMENT le pied du coup.
Des fois où ça m’est arrivé, j’en retiens le mot plénitude 🙂
C’est drôle, il y a de nombreuses choses qui naguère étaient excitantes et qui ont perdu de leur attrait parce qu’elles signifient être loin de mes enfants, genre la couverture d’un festival. Ça me parait normal comme sentiment, et en même temps je m’en sens parfois prisonnière.
Je comprends tout à fait. J’ai moins envie qu’avant d’être là, de bosser 14 heures par jour et de voir 3 films par jour. Je préférerais traîner à la plage avec Ezra. Et quand je suis à la plage je me dis que ce que je vis professionnellement est excitant et rare et que je devrais en profiter, mère ou pas. Bref, je vais pouvoir arrêter de me poser la question jusqu’à l’année prochaine. Le festival s’arrête ce soir!
J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. une belle découverte, un enchantement. blog très intéressant et bien construit. Vous pouvez visiter mon univers. Au plaisir.
Je crois que je me suis retrouvée de bout en bout ! Super article 🙂 (et merci à Picou pour la découverte !)
Merci! 🙂
Bonjour. Je découvre ton blog. Alors pour ma part, je bosse toi à temps plein, mais l’avantage que j’ai est que mon fils adore l’école, tellement qu’il fait la tronche que je viens le chercher car comprends-tu « il n’a pas eu le temps de jouer avec les copains » (il est en garderie depuis 1h30 déjà)…
Je culpabilise beaucoup moins du coup 🙂
J’aime beaucoup votre façon d’écrire.
Belle journée à vous et pour ma part, H-4h30 🙂
Je t’avoue, je ne cache ma joie à l’idée qu’il aille à l’école à la rentrée… En espérant qu’il aime. :-))))
Quand vous lui en parlez il dit quoi ?
On a visité plusieurs écoles en Californie avant de rentrer pour l’été. Il pleurait quand on partait parce qu’il voulait rester. Et il pleurait encore lundi quand je lui ai dit que ses cousins étaient à l’école et qu’il ne les verrait pas ce jour là. « Ezra écooooole aussi bouhouhou ». Je pense que c’est plutôt bon signe. Mais je ne sais pas s’il se rend bien compte de ce que ça sera… Réponse en septembre.
Surtout, explique lui que ce n’est pas que pour une journée lol, certains se sont faits avoir
Très bon conseil. ?? Par contre il ne va aller que 3 jours/semaine au début. En Californie, c’est privé a son âge du coup… un peu cher! Donc on se dit que trois jours semaine c’est un beau moyen de commencer en douceur.
Mais tu habites là-bas ? Je ne suis pas trop lol…
Pour moi, une autre part de frustration est les horaires! Je trouve que le boulot n’est pas du tout bien agencé avec les horaires crèche/école – ou alors l’inverse… Je me sens frustrée de courir pour arriver à l’ouverture de la crèche, me dépécher de revenir avant la fermeture tout en cuplabilisant d’avoir laissé ma fille une immmeennse journée « seule » sans nous…
PS: super blog, supers articles, plein de bonnes idées, j’adore!
Merciiii! Et ouais, c’est galère… Ezra va rentrer à l’école d’ici quelques jours. Même si notre rythme californien nous permet de grapiller un peu de rab sur ce qu’on devrait subir en Belgique…
Bel article – applicable aux pères autant autant qu’aux mères … pas de sexisme ;).