Je n’aimerais pas accoucher aujourd’hui. J’écris aujourd’hui mais je ne veux pas dire aujourd’hui, aujourd’hui. De nos jours, je veux dire. Voilà c’est dit. Et j’avais envie de vous en parler.
L’Insta-game m’aurait tuée si j’avais dû accoucher aujourd’hui
J’ai accouché il y a six ans. Il y a un siècle donc, vu la vitesse à laquelle les choses évoluent de nos jours. Instagram existait déjà mais n’avait pas cette ampleur-là. Il y avait bien quelques comptes sur la maternité mais les nanas qui se cachaient derrière partageaient quelques tranches de vie choisies. On ne vivait pas encore par procuration, on savait encore vivre pour soi. Oh, j’ai bien partagé quelques photos de ma silhouette arrondie, j’ai dévoilé le visage de mon nourrisson à mes potes les plus à la page. Ceux qui, par curiosité, avaient doublé leur compte Facebook d’un compte Insta. Ils n’étaient pas très nombreux à l’époque. J’avais un compte privé. Et si vous saviez, aujourd’hui, comme je suis heureuse d’avoir accouché bien avant qu’Instagram ne devienne le réseau qu’il est aujourd’hui.
Je suis contente de ne pas devoir accoucher aujourd’hui parce que l’Insta-game m’aurait tuée. Je suis contente d’avoir fait mes premiers pas de mère sans pression si ce n’est celle que je me mettais à moi-même, qui était déjà bien suffisante, selon une échelle de valeurs qui m’était propre, que j’avais établie sur base de l’éducation que j’avais reçue et sur les discussions que j’avais eues dans l’intimité avec le futur père. Et non pas sur l’échelle de valeurs d’une nana dont je ne connaîtrais que ce qu’elle veut bien raconter d’elle, en une poignée de caractères.
Les vérités que vous lisez ne sont celles que d’une seule personne
Si j’avais dû accoucher aujourd’hui, je sais que je n’aurais pas été la même mère parce que j’aurais lu tout ce que je lis aujourd’hui sous des posts qui se veulent vérité absolue mais qui ne sont que la vérité d’une seule personne. Et encore, une vérité souvent influencée par un subtil placement de produits… J’aurais été parasitée et flippée aussi: j’aurais vu des problèmes dans ma façon de faire là où il n’y en avait pas.
Quand je suis devenue maman, je me souviens du tsunami hormonal qui m’a fait douter de chaque geste posé. Je me demandais sans cesse si j’étais capable d’endosser cette responsabilité-là. Si j’avais eu mon bébé aujourd’hui, j’aurais regardé comment les autres, plus jolies, plus minces, plus organisées, plus entourées, que moi faisaient. Je sais qu’Instagram m’aurait fait douter de mes capacités encore plus. Vous allez me dire: j’aurais pu choisir de ne pas aller sur Insta. J’aurais eu du mal à supprimer mon compte, malgré tout: la curiosité l’aurait sûrement emporté sur le bon sens.
Enceinte, j’avais déjà trouvé ma visite chez Orchestra absolument atroce: ces rayons plein de choses présentées comme absolument nécessaires à la survie de mon futur bébé m’avaient complètement fait paniquer. Insta, c’est ça, en pire.. Si j’avais accouché aujourd’hui, j’aurais cru en permanence ne pas avoir assez de choses ou ne pas en faire assez pour mon enfant. Je me serais sentie coupable de tout.
Instagram ou le règne du conseil non-sollicité
Je l’écrivais dans mon Journal de bord de la maternité décomplexée (dans lequel je répète qu’il s’agit de ma propre expérience et si vous vivez/ressentez exactement l’inverse de ce que j’écris, c’est bien aussi) : les conseils non-sollicités sont les pires, quand on est jeune maman. Et Instagram ne fait qu’en donner, à toute heure du jour ou de la nuit, en post ou en story.
A l’époque de ma grossesse, quand je voulais une info, j’allais la chercher. J’avais quelques lectures dédiées à ce grand chambardement intime, je lisais des opinions sur des forums. Mais je devais faire une démarche pour obtenir une éventuelle réponse à une éventuelle question. Aujourd’hui, on ne demande rien mais dès qu’on scrolle, qu’on le veuille ou non, on nous dit ce qu’il faut acheter, ce qu’il faut penser, comment dormir avec bébé, quoi manger, comment muscler son périnée, retrouver la ligne… Accoucher aujourd’hui et aller sur Instagram, c’est avoir des réponses avant même d’avoir des questions. On croit du coup que tout ce que les autres vivent va forcément nous arriver aussi. Six ans après y être passé, j’ai parfois envie d’hurler.
Nos inquiétudes sont amplifiées par le mégaphone Instagram
Je n’ose imaginer la pression que les futures ou toutes jeunes mamans doivent ressentir face à ce flot de pseudo-informations. Sans même s’en rendre compte d’ailleurs tant ça fait partie de leur quotidien. Je suis parfois moi-même rattrapée par une petite pointe d’angoisse: est-ce que j’en ai fait assez? est-ce que j’aurais pu faire mieux? Des questions, des inquiétudes naturelles chez une maman mais amplifiées par le mégaphone Instagram.
Je n’ose du coup imaginer mon état émotionnel si j’avais dû accoucher aujourd’hui. Je me serais comparée aux autres qui auraient accouché en même temps que moi en permanence. Là, je m’en sors bien. Je ne suis pas trop influencée par la façon de faire de celles qui ont un enfant du même âge que le mien. J’ai eu le temps de prendre confiance en moi, de connaître mes limites, mes besoins, et ceux de mon enfant. J’ai du recul, à force de voir passer les années.
Chères jeunes mamans…
Parfois, j’ai peur. A ma toute petite échelle, j’ai parfois peur que l’image que je renvoie sur Instagram impacte d’autres femmes de façon négative. Qu’elles trouvent de quoi alimenter leur manque de confiance en elles au lieu d’être, peut-être, inspirées ou stimulées. J’espère n’avoir jamais fait pleurer ou culpabiliser personne, malgré moi.
Chères futures et jeunes mamans, ne suivez que les comptes qui vous donnent le sourire ou qui vous font réfléchir plutôt que de vous aigrir. Pas ceux qui génèrent cette impression de ne jamais assurer, de ne jamais « faire aussi bien ». Pas ceux qui vous poussent sans cesse à l’achat. Pas ceux dont vous lisez les posts en sanglotant parce que vous ramez comme jamais alors que là-bas, chez cette nana que vous ne connaissez pas, tout a l’air de rouler. Ne gâchez pas votre expérience personnelle parce qu’une femme devenue mère en même temps que vous « a l’air » de tout mieux faire.
Les comptes qui me filent la pression, je les mets en sourdine
Je parle de la maternité mais mon feed Instagram est désormais plein de phrases définitives, d’avis personnels qu’on présente comme des vérités. La pandémie a accéléré cette façon de faire-là. Perso, j’ai décidé de faire le tri. Je mets en sourdine tous les comptes qui m’oppressent, qui m’attristent, qui me font mal au ventre. On n’est pas fait de bois. Ca m’impacte, comme tout le monde.
On le répète depuis toujours mais je le redis ici: ne vous fiez pas à ce que vous voyez. Derrière la photo ultra léchée et la légende retravaillée, il y a du bordel, des cris, des larmes. Il y des rendez-vous qu’on annule, des lessives qu’on oublie de faire sécher, du vomi, des engueulades. En tout cas, chez moi, il y a ce que je vous montre et le reste. Les portes qui claquent, les prises de tête, le désordre, le ras le bol.
Que vous soyez mère ou non, vivez selon vos envies, vos croyances et vos besoins. Pas selon les envies, les croyances et les besoins d’une mère, d’une femme que vous ne connaissez ni d’Eve ni d’Adam. Si vous voulez être rassurée, conseillée, encouragée, adressez-vous à vos copines. Vous connaissez leur parcours de vie dans les détails. Vous saurez ce qu’il y a à prendre et ce qu’il y a à laisser dans ce qu’elles vous diront. Fuyez devant les comptes de nanas qui croient avoir tout compris.
S’il y a bien une chose qui est sûre, c’est que dans tout ce bordel, personne ne sait ce qu’il faut faire pour bien faire. Ne croyez pas les gens qui assurent le contraire. La maternité, c’est tatonner, se tromper, s’épuiser, recommencer, pleurer de fatigue et de joie à la fois. Il y a mille façons d’être mère: celle que vous voyez sur Insta n’en est qu’une.
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2 comments
Tout est tellement bien dit.
Merci pour ton témoignage.
Perso, à l’époque (il y a 13 et 8 ans 1/2), on n’avait effectivement pas tous ces avis non sollicités ni toutes ces soi-disant vies et mères parfaites sous les yeux. Par contre, je voulais allaiter et je n’ai pas été aidée par ma maman et ma belle-maman qui me disaient « vous avez été élevés au biberon et vous n’en êtes pas morts », « Ho moi je bourrais les bibis pour qu’ils dorment » ?
Sans parler de certains pédiatres/infirmières qui te mettent une pression supplémentaire.
Pour ma deuxième, je me suis mieux préparée pendant toute ma grossesse, décidée à ne suivre que mon instinct. Et ça c’est clairement mieux passé.
Et oui, le mieux, c’est l’avis des copines qui sont déjà passées par là, quand on en a. Leurs conseils ou histoires racontées sans complexes sont des pépites.
Perso, j’ai subi plus de pression des réseaux sociaux en matière d’éducation par la suite.
Mais voilà, c’est un autre thème ?
Tu sais combien je partage ton point de vue sur la maternité, ça me fait très peur aussi pour les jeunes mères d’aujourd’hui, pour la pression que ça met mais aussi et surtout pour la standardisation d’un modèle unique, bien-pensant, maternage-portage-dme-bidnveillance etc, qui a peut-être ses vertus mais ne conviendra pas à toutes les mères, ni à tous les enfants. Les futures ou jeunes mamans que je suis sur Instagram foncent souvent dans ces pièges à pieds joints et se culpabilisant de tout derrière en se sentant bien mal… ça me fait mal au cœur!