Myriam Leroy sort son nouveau livre, Le mystère de la femme sans tête. Il fallait que je vous en parle.
“C’est elle. Tu ne savais pas que tu la cherchais mais tu sens que tu l’as trouvée.” Nous sommes en décembre 2020, en plein confinement. Myriam Leroy, journaliste et écrivaine, marche dans les allées du cimetière d’Ixelles en écoutant une amie lui parler de ses problèmes de cœur.
Au milieu de la pelouse d’honneur de la Seconde Guerre mondiale, une tombe accroche son regard. Celle de Marina Chafroff. Une anomalie. Une femme toute seule au milieu des hommes.
Sous son nom, un mot si brutal qu’incongru: décapitée. “Le mot décapitée te chute sur l’estomac comme un petit cadavre et il te semble avoir la nuque qui picote.”
En rentrant chez elle, Myriam tape le nom de Marina Chafroff et découvre son visage.
“Sur la photo, c’est sa physionomie qui captive. Un petit nez rond et des bonnes joues mais une morgue et des yeux durs, des yeux qui te voient là où tu ne veux pas être vue…”
“Tout dans ce visage dit à la personne qui regarde: Dégage. Il est impossible de s’en détourner. Tu y es ventousée. Fascinée par le caractère hostile de la pose et la beauté farouche du modèle, débarrassé de toute politesse.”
Myriam ne le sait pas encore mais elle vient de rencontrer l’héroïne de son nouveau roman.
Le mystère de la femme sans tête: le résumé
Le mystère de la femme sans tête, sorti cette semaine aux éditions Seuil, est l’histoire de Marina, jeune Russe exilée en Belgique, décapitée à la hache en 1942 sur ordre d’Hitler, après avoir, dit-on, poignardé un Nazi.
Dans ce roman intense, passionnant et passionné, Myriam mène l’enquête, mélange l’intime et l’historique, et nous révèle le portrait d’une mère de famille au courage extraordinaire qui s’est sacrifiée pour que vivent des innocents.
Marina aurait dû être une héroïne de la seconde guerre mondiale et voir son nom inscrit dans les livres d’histoire, mais elle est tombée dans l’oubli. Myriam Leroy l’en exhume et lui rend les honneurs auxquels elle n’a pas eu droit.
Hier et aujourd’hui se télescopent. L’histoire de Marina fait tristement écho à la façon dont on traite encore les femmes, 80 ans plus tard.
J’ai appelé Myriam Leroy pour parler de sa mystérieuse femme sans tête.
Tu dis que Marina t’a appelée, que “quelque part d’en haut” on t’a “soufflé” ce que tu devais écrire. À quel moment tu as compris qu’il y avait matière à roman?
Dès que j’ai tapé le nom de Marina Chafroff sur Google. J’avais posté quelques story sur Instagram, je me disais que quelqu’un devait en faire une biographie mais je me disais que ce n’était pas une histoire pour moi. Je pensais qu’il fallait une formation en histoire pour se pencher sur le passé.
En plus, j’étais nulle en histoire. Mon père est né en 1940, il parlait beaucoup de cette période-là quand j’étais petite mais je fermais mes écoutilles, je trouvais ça déprimant.
Pendant longtemps, je me suis dit que cette histoire-là n’était pas pour moi, que je devais faire des livres contemporains, avec une charge violente dans le style, mais pas une biographie et certainement pas historique. Mais toute une série de hasards se sont invités dans ma vie et je n’arrivais plus à penser à autre chose.
Je me suis alors dit que je pouvais écrire une enquête. J’ai écrit 250 pages mais on m’a dit que ça manquait de littérature. C’était un livre d’enquête très sec. J’ai compris qu’un destin comme ça, c’est romanesque et que peut-être, c’était le moment de faire intervenir de la fiction.
Alors, j’ai tout jeté et j’y ai mis de moi. J’ai assumé mon rôle au sein du dispositif, j’ai assumé mon recours à la fiction tout en le signalant. C’est important que les gens ne soient pas bernés.
J’ai écrit une histoire vraisemblable. La plupart des événements sont réels. Mais le reste, j’ai dû l’inventer.
Tu dis que tu pensais que ce n’était pas une histoire pour toi… Tu avais l’impression que les gens t’attendaient ailleurs? Que tu étais coincée dans un style littéraire?
Je pense que les gens n’attendent rien de moi. Dans la vie, on perd son temps si on ne fait pas ce qu’on est le seul au monde à pouvoir faire. Surtout dans un domaine artistique, surtout lorsqu’il s’agit de l’écriture d’un livre.
C’est un processus si ingrat, si tu n’es pas sûr de labourer le bon sillon, ça ne vaut pas la peine: les retours sur investissements sont trop maigres.
Je n’étais pas la seule au monde à pouvoir faire un livre historique mais j’étais peut-être la seule à pouvoir raconter son histoire tout en observant mon environnement.
Marina est devenue mon environnement. Elle m’est devenue familière. J’ai eu l’impression de la comprendre.
Marina, épouse et mère de famille est, un jour, sortie de chez elle, couteau à la main, et elle a dit stop. Elle a pris sa vie en main. C’est ce moment-là qui t’a fait plonger dans son histoire?
Oui. Elle était une femme, une mère et dans l’ordre établi de la société, elle était à l’arrière-plan. Elle a transgressé le tabou de la passivité féminine.
Je ne sais pas si c’est elle qui a attaqué un Nazi à la Porte de Namur, je ne sais pas si c’était elle derrière le couteau, la première ou la deuxième fois, mais je sais que c’est elle qui s’est rendue.
J’attendais un procès à cette époque-là. C’était tacite mais je ne pouvais pas parler de cette affaire, de représailles, de dommages collatéraux. Je devais attendre une date pour le procès, j’étais dans l’attente et ça me consumait de l’intérieur. Ça me faisait imploser.
Je suis tombée sur elle et j’ai tout de suite eu de l’admiration. Je me suis dit: elle n’en avait rien à foutre. En voyant “décapitée”, je me suis mise à l’admirer pour tout ce qu’elle s’est autorisée.
Tu écris que ses attaques, commises de jour, en ont inspiré d’autres, “jusqu’à former une réaction en chaîne de l’ordre du tomber de domino, sublime détonation impossible à ignorer dans le monde entier, qui mènerait bientôt l’Allemagne nazie à capituler”. Carrément?
Je suis tombée sur l’article d’un blogueur espagnol qui dit ça. La belle-fille de Marina a commenté l’article en disant: Ma belle-mère a changé le cours de l’Histoire.
Il n’est pas interdit de penser que les Allemands, qui pensaient mener leur petite vie à Bruxelles, se sont rendus compte, avec les actes de Marina, que ça n’allait pas être aussi simple que prévu.
C’était leur wake-up call. Avant ça, il se passait des petits délits mais plutôt de l’ordre de Quick et Flupke.
Tu dis très justement que la guerre, finalement, on n’en sait pas grand-chose quand on a 30-40 ans. Avant de te plonger dans cette période-là de l’Histoire, tu pensais que c’était “avant tout une préoccupation de types douteux et de petits vieux.” Mais est-ce que tu crois que notre génération (Myriam est née en 1982, moi en 1985) devrait s’y intéresser?
Oui. J’ai une grande terreur depuis longtemps et les gens me trouvent inutilement alarmiste. Mais je crains le retour de la respectabilité de l’extrême droite.
Quand on se plonge dans la presse de l’époque, on se rend compte qu’il y flotte la même odeur qu’aujourd’hui. J’ai volontairement mis en avant tout ce qui se passait et se disait à l’époque qui ressemble à notre environnement actuel.
Quand je lis les discours d’Hitler dans les journaux de l’époque, ils ressemblent aux discours de petits hommes haineux d’aujourd’hui.
J’ai lu beaucoup de journaux collabo et beaucoup de journaux de la Résistance. On vibre sur la même fréquence et c’est effrayant.
Donc oui, il faut s’y intéresser parce que ne pas savoir, c’est se condamner à être surpris quand ça arrive.
Dans “Le mystère de la femme sans tête”, tu exposes les faits et tu sembles comprendre ou tu essaies de comprendre chacun des personnages. J’ai l’impression que tu as refusé d’avoir un avis tranché, définitif sur les gens dont tu parles…
J’ai essayé de pas les juger. Je pense, pour avoir beaucoup étudié la résistance, que rien n’est simple. Tout le monde a ses raisons de s’engager ou de ne pas le faire. En période de guerre, on ne sait pas ce qu’on aurait fait.
J’ai décidé d’accepter la nuance dans l’écriture, oui. Avant, j’écrivais dans l’idée de mettre tout à sac, de mettre feu à tout, et j’avançais comme un bulldozer, il y a quelque chose qui s’est décontracté dans mon écriture.
On n’écrit pas un livre en pensant à ce que les gens peuvent en faire. Mais que voudrais-tu que les femmes en fassent quand elles le ferment? Que voudrais-tu que ça réveille en elles?
J’aime le mot révolte. J’espère que ce livre pourra faire souffler un petit courant d’air qui, associé à d’autres, se transformera en vent de révolte. Mais il n’y a pas de message. J’avais surtout envie de donner une sépulture décente à une femme qui a été oubliée.
Et maintenant? Après Marina, on écrit quoi?
Un projet d’écriture, ça doit être vital et là, je n’arrive pas à percevoir ce qui serait vital pour moi. Je suis à l’affut, mes antennes sont sorties.
Après Les yeux rouges, j’étais essorée, je ne cherchais plus d’idée. Et puis j’ai rencontré Marina. C’est toujours miraculeux les idées de romans. C’est un cadeau incroyable.
J’ai rencontré Marina trois ou quatre jours après avoir perdu un procès que je n’aurais pas dû perdre. C’était une claque. J’aurais dû gagner. Marina a été ma planche de salut, mon radeau, elle m’a portée pendant deux ans.
Je suis devenue un peu mystique depuis. Il n’y avait pourtant pas plus réfractaire que moi au dialogue avec l’invisible mais là, il s’est passé trop de choses. Son histoire m’a sauvée de ma propre histoire.
Myriam Leroy, sa vie, son oeuvre
Myriam Leroy a écrit Ariane, un roman brutal sur une amitié adolescente toxique, que j’ai lu comme j’ai pris un coup de poing dans la face. Je l’avais trouvé enragé, juste, très bien écrit.
Elle a également signé Les yeux rouges, qui retraçait, sous forme de fiction, le harcèlement en ligne qu’elle a subi pendant des années. Étouffant, terrifiant. Le livre avait pris vie sur scène au Théâtre de Poche.
Myriam a ensuite écrit la pièce ADN. Une pièce inspirée de son histoire personnelle qu’elle m’avait racontée dans le podcast My Name is Mom. Elle a appris, à 35 ans, que son père n’était pas son père.
Le mystère de la femme sans tête est le troisième roman de Myriam Leroy. J’ai adoré le côté enquête: on suit son cheminement intérieur en même temps qu’elle découvre des infos sur Marina Chafroff.
On s’interroge avec elle, on l’accompagne quand elle s’avance sur une fausse piste. Ça met de l’humanité et de l’intime dans ce récit historique et politique.
Myriam a une écriture percutante et un sens de la formule épatante. Exemple? En parlant de la rencontre de Marina et Youri, qui deviendra son mari, elle écrit: “Elle se prit ce garçon en pleine figure comme on marche sur un râteau, un coup de manche au milieu du front.” Efficace et parlant.
Pour aller plus loin, écoutez le podcast La poupée russe: la femme sans tête, écrit et réalisé par Myriam Leroy et Valentine Penders.
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