Le documentaire “Petites” donne la parole à ceux qui étaient enfants quand l’affaire Dutroux a éclaté. Il fallait que je vous en parle. Il est à voir mardi 19 octobre sur La Trois, la veille des 25 ans de la Marche Blanche.
J’avais 11 ans et soudain, j’ai dû dire où j’allais, avec qui et à quelle heure je rentrais. Les voitures qui ralentissaient faisaient battre mon coeur un peu plus vite et je me cachais dans le talus dès que je voyais l’ombre d’une camionnette blanche. Je ne me souviens pas vraiment de comment c’était avant, avant quand je n’avais peur de rien, quand on traînait sur le chantier du Thalys en devenir et que mon vélo m’entraînait à l’autre bout de la ville, à la force de mes petites cuisses de gamine.
Je me souviens surtout de comment tout à coup, j’avais peur de tout et surtout, des hommes. Si un homme était capable de ça, les autres, – mon père?, notre voisin? – , l’étaient-ils aussi? Un regard masculin tourné vers moi et je me sentais menacée. Je ne savais pas très bien quelle était la menace: je n’avais pas encore eu de rapports sexuels. Mais je regardais par-dessus mon épaule, j’avais toujours l’impression d’être suivie, j’avais mal au ventre en hiver, il faisait trop noir, trop tôt et j’avais l’impression d’être avalée par les phares des voitures. De marcher à découvert. D’être à la merci d’un prédateur.
Je me souviens avoir appris au JT que Julie et Mélissa avaient gratté les murs de leur cache, qu’un gendarme aurait pu les sauver mais qu’il était passé à côté… La télé débitait un flot d’horreurs sans discontinuer et personne ne m’en écartait. C’était une autre génération. Nos parents étaient démunis, sous le choc. Ils n’imaginaient pas une telle escalade dans l’abomination et ils n’épargnaient rien à nous, les mômes d’alors.
“Petites”: Dutroux, le traumatisme d’une génération
Les disparitions de Julie et Mélissa, de An et Eefje, de Sabine et Laetitia ont traumatisé tout un pays. Et toute une génération: la mienne. J’ai grandi en sachant que le mal dans sa forme la plus pure existait. Qu’il enfermait des petites filles de mon âge dans une cave insonorisée pour les violer, sous les yeux de sa femme. Cette femme qui nourrissait ses chiens mais qui laissait des enfants mourir de faim.
J’étais enfant à l’époque. Et on ne traitait pas les enfants avec autant d’égard qu’on le fait désormais. On ne nous demandait pas de quoi nos cauchemars étaient peuplés ni comment on vivait le fait d’avoir regardé en direct à la télévision des pelleteuses creuser un jardin dans l’espoir de tomber sur les restes des petites disparues.
“Petites” donne la parole aux enfants d’alors
Pauline Beugnies avec le documentaire “Petites” sur l’affaire Dutroux donne la parole à ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de la prendre jusqu’ici. Elle retrace l’histoire qui a appris à la Belgique que l’impensable existait, de la disparition des gamines au jugement de leur bourreau, avec, en voix off, le récit, les témoignages des enfants nés dans les années 80. De cette sordide affaire, je n’ai évidemment rien oublié: on a vu les images 100 fois. Mais écouter ces gens de ma génération se rémorer leurs souvenirs, leurs traumatismes, m’a vraiment remuée. C’est très fort. Ca pose un tas de questions que personne ne s’est posées à l’époque.
Pauline avait 12 ans quand Julie et Mélissa ont disparu. “Ma soeur en avait 10. Elle a commencé à avoir des troubles du sommeil et elle est toujours insomniaque aujourd’hui. C’est quelque chose qui l’a un peu poursuivie. Moi, j’étais révoltée. J’étais un peu sortie de la bulle de l’enfance et je commençais ma révolte adolescente. Ma défiance vis à vis du monde adulte, ça s’est vraiment joué là pour moi. On nous considérait pas comme ayant le droit à la parole.” Pauline a grandi à Charleroi, la ville où vivait Marc Dutroux: “Ma ville a été bien salie par tout ça. Il y a eu une période où j’avais l’impression qu’on retournait la ville pour chercher des corps d’enfants.”
Quand Pauline a commencé à parler de son idée de documentaire, on lui a dit que tout avait été dit. “Tout a été dit mais nous, on n’a rien dit.”
Moi, si j’ai pris “Petites” en pleine tête, c’est parce que j’ai revécu mon mal-être de gamine face à cette affaire de pédophilie immonde mais aussi parce que j’ai revu l’histoire en me mettant à la place des parents.
Avant, je me mettais à la place des enfants; aujourd’hui, je me mets à la place des parents
Jusqu’ici, je m’étais toujours mise à la place des victimes. Désormais, je suis mère. Ce n’est plus pour moi que j’ai peur mais pour mon fils. Le temps a modifié mon prisme. J’ai été bouleversée en voyant ces parents mettre tout en oeuvre pour retrouver leurs filles, leur acharnement à se faire entendre, leurs certitudes pendant 14 mois avec un leitmotiv: tant qu’on n’a pas de preuves de leurs décès, c’est qu’elles sont encore en vie. Ils avaient raison. Elles étaient en vie. Et on ne les a pas retrouvées à temps. Rien que de l’écrire, j’ai envie de vomir. Je ne sais pas comment on fait pour continuer à vivre en sachant ça quand on est mère…
Avec “Petites” diffusé le mardi 19 octobre sur La Trois, Pauline espère avoir libéré la parole de ceux qu’on avait fait taire jusqu’à présent. “Il faut parler des choses. De la réalité. Ouvrons un vrai débat. La parole des victimes doit être normalisée. Il y a deux personnes qui parlent des abus qu’elles ont subis dans le documentaire. J’espère que d’autres oseront parler, comprendront que c’est ok que de le dire.”
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3 comments
Bonjour,
en effet, c’est un véritable traumatisme qui nous a tous envahis. J’étais plus âgée mais je venais d’être maman d’un petit garçon né en novembre 1994 et d’un deuxième né en juillet 1996 (d’autres ont suivi après).
Je me souviens à quel point en tant que jeunes parents, nous étions choqués, paniqués à l’idée que nos enfants vivent un tel drame. Nous avions eu une enfance insouciante ou très jeune, je pouvais partir la journée jouer avec des amis dans les bois, dans les rues du village, en vélo…. Et là, le choc total, comment laisser mes enfants s’épanouir et se créer leurs propres expériences sans qu’ils ne soient constamment en danger. Plus tard, je me souviens de laisser mon fils de 7 ans aller chercher un pain à la boulangerie située à 500 mètres de la maison. Mais je ne le quittais pas des yeux. Je restais sur la route à observer que tout se passait bien. Ceci en pensant ne pas transmettre ma propre peur. Je me trompais complètement. Sans le vouloir, je leur ai transmis la peur des inconnus, le fait qu’à tout instant, ils pouvaient être enlevés et subir les pires atrocités. Ils ont grandi en subissant mes propres peurs. L’un d’eux qui jouait autours de la maison a été complètement paniqué à l’arrivée du livreur de mazout….
Encore maintenant, j’y pense très souvent, je pense aux parents des jeunes victimes, je ne sais pas comment j’aurais pu tenir si cela était arrivé à un de mes enfants. Les petites, leurs parents font partie de ma vie. J’ai un immense respect pour eux et une terrible tristesse. Je pense aux calvaires des petites et je ne peux m’empêcher de pleurer et d’être en colère contre ce système qui a laissé des monstres en libertés, qui les libèrent aujourd’hui, et qui continuent à être aussi injuste vis à vis des victimes. Je suis vraiment en colère quand je lis des articles plaignant les conditions de détention de Dutroux, je ne comprends pas qu’on ait pu libérer Martin, Lelièvre… Tous ces drames auraient pu être évités si la justice faisait vraiment son travail (Elisabeth, Loubna, Estelle, Maélys et tant d’autres…). Aujourd’hui, mes premiers enfants sont devenus adultes et je sais qu’ils seront eux aussi marqués à vie. Nous avons aujourd’hui une petite de 11 ans, avec qui, même si je suis consciente de ce que j’ai projeté sur les plus grands, je ne sais pas vraiment si ma manière de la prévenir, de lui donner des ressources, en essayant de ne pas l’effrayer est juste. Je veux qu’elle puisse profiter de l’insouciance de l’enfance mais je me sens incapable de vraiment la protéger. Dès qu’elle joue dehors seule ou avec une amie, je ne peux m’empêcher d’être inquiète et de vérifier constamment qu’elles sont en sécurité. J’essaye d’être discrète mais j’ai besoin d’être sur qu’elle ne risque rien.
Nous vivons dans un monde qui prend de moins en moins compte la vie des gens. Même dans les petits villages, l’insécurité est partout. Les voitures ont envahis tout l’espace, cela roule de manière disproportionnée, … Comment laisser aujourd’hui nos enfants s’épanouir librement? Rien que ce weekend, ces enfants retrouvés chez un voisin déjà connu pour ses penchants de pédopornographie. Comment peut-on accepter cela? Devons-nous enfermer nos enfants pour ce genre de personne?
J’ai des frissons en te lisant.. Effectivement, 25 ans plus tard, le traumatisme est toujours là.. J’ai programmé l’enregistrement du documentaire du coup, mais j’avoue que j’ai un peu peur de le regarder du coup.. Merci pour tes mots, et belle journée quand même 😉
J’ai l’âge de Julie et Mélissa… Et cette histoire a bouleversé ma vie d’enfant… c’est tellement vrai ! Un véritable traumatisme dont on parle trop peu. J’ai hâte de voir ce documentaire demain… je suis sûr de m’y retrouver.
Aujourd’hui, je suis la maman de deux filles et je garde en moi cette peur d’enfant en essayant de les protéger.
En tant qu’enseignante, je me rend compte aussi que mes élèves, bien plus jeunes, sont eux aussi indirectement marqués par cette histoire… ils savent tous qui est Marc Dutroux et ce qu’il a fait. Ils sont marqués à vie sans l’avoir vécu…
Merci pour cet article et ce partage !