“Tous les parents ratent des choses: on fait toujours trop ou pas assez ou pas au bon moment”

by seayouson

Décider de mettre ses parents en maison de retraite, c’est difficile. On se rend compte que le temps passe. Qu’ils ne seront plus jamais ce qu’ils étaient. J’ai parlé avec Marie-Sabine Roger, auteure de Dernière visite à ma mère, qui raconte sa culpabilité d’avoir mis sa mère en Ehpad.

Sur ce blog, je vous parle de la mère que je suis pour mon enfant et de celle que vous êtes aussi, je l’espère, en laissant la parole à divers intervenants ou en relayant des infos pour vous faire réfléchir sur l’éducation et la parentalité au sens large.

Cet article va un peu bousculer nos habitudes et parler de l’enfant que l’on est, nous, pour nos parents. Dans le livre “Dernière visite à ma mère”, qui n’a absolument rien de fictionnel, Marie-Sabine Roger raconte la lente dégradation de l’état de santé de sa mère, placée en Ehpad.

Il raconte les mots qu’on a du mal à dire pour combler le fossé qu’il peut y avoir avec ceux qui nous ont mis au monde et les gestes d’intimité si difficiles à poser quand on a grandi auprès d’une mère présente mais pas tendre.

La quatrième de couverture indique qu’il s’agit “d’un livre lumineux sur une expérience universelle: le besoin de se réconcilier et de se dire Je t’aime, avant que les parents s’en aillent.”

J’ai appelé Marie-Sabine pour qu’elle me dise comment on fait pour faire la paix avec ceux à qui, techniquement, on doit tout… Est-ce que c’est possible?

Vous dites qu’au début, vous ne saviez pas très bien pourquoi vous vous êtes mise à prendre ces notes… Au final, maintenant qu’il est publié, ce livre, c’est quoi? L’envie de rattraper le temps perdu et les mots que vous ne vous êtes pas dits avec votre mère?

Il y a beaucoup de témoignages sur les parents qui s’en vont, je ne fais pas exception. Lorsque j’ai eu fini d’écrire ces notes, je ne savais pas quoi en faire, je l’ai donné à lire à mon ancienne éditrice qui a été touchée à titre personnel. Elle m’a dit que ça pouvait parler à plein de gens.

Je ne suis évidemment pas la première à dire qu’il faut se parler tant qu’il est temps. Mais ce n’est pas si facile. Ma mère n’était pas chaleureuse, on ne se faisait pas de câlins, on ne se prenait pas dans les bras, on ne savait pas le faire. Elle ne voulait peut-être pas être envahissante. J’ai d’ailleurs reproduit ça avec mes enfants: je suis pudique avec eux.

Ma mère et moi, on parlait. Mais quand elle a eu du mal à trouver les mots, il a fallu combler ce vide. Je me suis retrouvée à avoir des contacts physiques avec ma mère, alors qu’elle avait 92 ans. Au début, je n’osais pas la toucher. Rien que le fait de lui prendre le bras ou la main au début, c’était surprenant pour elle et pour moi. Et je ne vous parle pas des gestes d’intimité: aider ses parents pour l’hygiène quand on n’a jamais eu de rapport au corps avec eux…

J’ai commencé à écrire quand elle est entrée en Ehpad. Il y avait le manque à venir qui se profilait et le temps qui se faisait plus court. Quand elle est entrée en Ehpad, ça a été un électrochoc: la démence se profilait, c’était une vieille dame qui n’était plus tout à fait là. Mais elle était encore suffisamment là pour comprendre qu’elle entrait en Ehpad. Elle me disait qu’elle voulait mourir.

Vous vous êtes sentie coupable de la “placer” mais vous n’avez pas eu le choix…

J’ai lu des commentaires acides. Des gens qui disent que je n’avais qu’à pas la mettre en Ehpad. Mais ce n’est pas un choix. Quand on place quelqu’un là, c’est qu’on ne peut pas faire autrement. Il y a un moment où on ne peut plus quitter la personne de l’œil. C’est une chute qui a précipité son départ de chez elle… 

dernière visite à ma mère marie-sabine roger ou comment faire la paix avec ses parents
Dans ce livre touchant, une femme raconte la culpabilité qu’elle ressent d’avoir placé sa mère en Ehpad.

Vous racontez que votre maman ne pouvait plus rester chez elle. Est-ce que le fait de quitter sa maison a accéléré sa dégradation?

Oui, c’est probable. Sa maison était devenue trop dangereuse pour elle. Il y avait plein d’escaliers, c’était un piège pour elle. Elle disait souvent que c’était une grande baraque pleine de courants d’airs, on s’était persuadés, mon frère, moi et mes enfants, que si elle en partait, ça ne serait pas un traumatisme.

Mais j’ai compris après que ce n’est pas une maison qu’on quitte, mais une vie. Elle vivait là depuis 50 ans. Ce ne sont pas juste des meubles après tout ce temps. Je crois aussi que plus encore le fait de quitter la maison, c’est d’arriver à cette étape de sa vie où on est dans la dépossession de soi-même.

On se rend compte que nos proches prennent des décisions pour nous, c”est cruel. Certains le vivent de façon plus sereine. Elle était anxieuse mais on n’a pas mesuré réellement le bouleversement que ça avait été…

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Comment grandit-on sans réelle relation d’affection avec sa mère? Sans être “certaine” qu’elle nous aime? Parce que vous écrivez: “Je ne suis pas certaine de ton amour pour moi”…

J’en ai douté mais je pense qu’elle m’a aimée. A la fin de sa vie, elle me disait: “J’ai été une femme compliquée.” Elle était surtout compliquée pour elle. Elle n’était pas forcément à l’aise dans le partage profond. Elle restait en surface. Ce n’était pas quelqu’un de superficiel mais ses relations l’étaient: elle avait peur d’envahir et d’être envahie. Elle était un peu sauvage.

Vous parlez à l’Ehpad, des visites embarrassées qu’on fait aux résidents, des visites nourries de platitudes. Beaucoup de gens cessent de voir leurs proches pour éviter ces conversations qui n’en sont plus, parce que c’est trop dur. Vous pensez qu’il faut continuer à les faire ces visites? 

Oui, en maison de repos comme pour ceux qui sont à l’hôpital en long séjour. Et si vous ne savez pas quoi dire, ne dites rien mais allez-y. Jusqu’à la toute fin de la vie de ma mère, quelques jours avant sa mort, la communication était réduite au minimum.

J’avais trouvé quelqu’un qui venait 3 fois par semaine et me mettait sur Whatsapp. Elle reconnaissait ma voix. Je lui disais: ouvre les yeux, regarde-moi. Elle savait que j’étais là, on sentait qu’elle lâchait l’angoisse. C’est la seule chose qui lui restait: ses proches. D’ailleurs, elle convoquait souvent ceux qui n’étaient plus là. C’est troublant.

C’est au-delà de la folie. Je ne suis pas croyante mais elle l’était. Vous avez l’impression d’être à côté de quelqu’un qui est en train de faire le passage entre la vie d’ici et l’après. Elle était persuadée de trouver ses proches, ailleurs. C’était sa foi intime. Elle était avec ceux qu’elle avait perdu et ceux qui restaient. Tout se mélangeait et ça devenait sa réalité. 

Dans ce livre, vous expliquez tout ce que l’Ehpad a fait de mal à votre mère… Quand elle est entrée en maison de repos, elle avait des problèmes pour marcher mais le kiné n’est venu qu’au bout de trois semaines. Alors qu’elle avait besoin d’aide pour aller aux toilettes, une infirmière lui a demandé de “faire dans sa couche”. On lui a donné des médicaments pour l’abrutir parce qu’elle criait…

Je ne suis pas fâchée contre les gens mais je suis dans une colère terrible contre l’institution. On ne peut pas laisser mourir les gens comme ça. Honnêtement, les gens qui travaillaient là étaient attentifs et plutôt gentils mais ils n’avaient pas le temps.

La personne qui a dit à ma mère de faire dans sa protection, ce n’était pas pour l’humilier, c’est juste qu’elle n’avait pas le temps de s’en occuper. Une fois dans l’Ehpad, on se rend compte que les gens qui sont là pour être performants en termes d’essentiel: elle était nourrie, on la changeait, on lui donnait à manger mais il n’y avait que trop peu de temps de présence, ma mère a passé des heures seule dans sa chambre.

Elle avait fini de manger tôt, on la remontait dans sa chambre à 17h30. Et après? Après, rien. Elle était shootée aux médicaments, on m’avait dit qu’elle criait la nuit. J’avais parlé de ça à la psy, elle m’avait dit: “Elle va s’adapter, elle fait la comédie”. C’est une infantilisation insupportable. On ne s’adapte pas à 92 ans. Ce n’était pas de la comédie.

Je n’en veux pas à la psy. Elle visitait trois établissements et rien que dans celui de ma mère, il y avait 90 personnes… Les Ehpad, ce sont des usines à fric. Il y a une commercialisation du vieux, c’est indigne. Ce n’est pas juste affreux parce que moi un jour, j’y serai peut-être. Le propos c’est: quelle est cette société qui met de façon aussi détachée de côté les personnes âgées? 

Quand vous envisagez l’idée d’être à votre tour “placée” par vos enfants, ça vous fait quoi?

Mes enfants m’ont dit: jamais. J’ai dit: moi non plus. Je suis très claire avec ça. Si la démence ne me prend pas par la main, si je vois que je m’amenuise, j’espère avoir le bon réflexe d’en finir avec moi-même d’une façon qui ne soit pas trop traumatisante pour mes enfants. Ils le savent.

Mais parfois, la démence vous prend avant. Ma mère disait: je vais devenir folle. Mais quand elle disait ça, elle était déjà très atteinte. Alors, jusqu’où on attend?

C’est la même question au sujet de la maison: jusqu’à quel âge peut-on vivre dans sa propre maison. A quel âge va-t-il falloir que je trouve un lieu plus pratique pour moi. Les choses arrivent vite parfois. On peut faire un faux pas, se casser le col du fémur et du jour au lendemain, on est en institution. Ca peut arriver à n’importe qui.

Vous écrivez: “On tient les vieux en vie alors qu’on devrait les laisser partir”…

Aucun médecin n’est formé pour laisser mourir son patient sans rien faire. Je comprends le problème moral que ça pose. Mon père a fait un AVC massif à 76 ans. Il était hémiplégique et aphasique du jour au lendemain. Mais après cet AVC, on a eu des moments heureux: il a ri, il s’est ému.

Comment peut-on décider de la vie des autres? Il faut peut-être laisser des consignes? Un jour, ma mère a dû être hospitalisée. Je l’ai retrouvée dans un couloir aux urgences nue sous un drap avec une perf dont elle n’avait pas besoin mais qu’on lui avait posée “au cas où”.

La médecine doit être performante avant d’être humaine. Après ça, j’ai dit: “Plus jamais l’hôpital”. J’ai décidé pour elle. Je n’ai pas eu l’impression de la trahir. Le corps peut être entretenu quand l’esprit et l’âme ne sont plus là. Mais à quoi ça sert?

A quoi ça sert de gaver quelqu’un qui n’a plus envie de s’alimenter? En Belgique, il y a de l’humanité: vous pouvez décider de mettre fin à votre vie, mourir dans la dignité. Je suis pour le droit de mourir dans la dignité. 

Votre mère vous a dit un jour que sa mère avait été le grand amour de sa vie. Et vous vous demandez: Peut-on être mère en ayant été fille à ce point-là? Vous êtes mère vous-même. Quelle mère êtes-vous après avoir grandi avec une mère comme ça?

Je suis une mère qui se remet en question. Tous les parents ratent des choses. On fait toujours trop ou pas assez ou pas au bon moment. Je ne me dédouane pas. Mais c’est pareil pour tout le monde. J’ai été élevée comme ça, je ne voyais pas où était le problème, c’est en ayant moi-même des enfants que je l’ai compris.

Je reproduisais ce que j’avais connu avec mes parents. J’ai été très câline avec mes enfants quand ils étaient petits et j’ai pris mes distances quand ils ont grandi, par pudeur peut-être, comme on me l’avait appris. Pour ne pas les déranger, peut-être.

À mon âge, je me suis dit que c’est idiot. Je me suis remise en question, j’ai encore le reste de ma vie pour faire mieux.

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