Au début du confinement, c’était marrant de regarder ces nouvelles passions qui naissaient sur les réseaux sociaux. Ça faisait quelques jours qu’on était tous enfermés chez nous… Les réseaux sociaux faisaient ce à quoi ils servent: ils nous permettaient de garder un lien avec le monde extérieur. On s’est dit qu’Instagram, c’était un peu une fenêtre ouverte sur ce qui se passait dehors. C’était une petite bouffée d’air frais. Virtuel, certes. Mais frais quand même.
On a trouvé ça beau les partages de vidéos montrant les applaudissements aux balcons et elles étaient inspirantes, ces vidéos de yoga tournées depuis la carpette du salon. On aurait pu croire un instant que la vie virtuelle du confinement allait nous combler. Qu’on allait s’épanouir en suivant des formations ou des “lives” instructifs. Et puis, ça a dégénéré rapidement. Et ça a commencé à sentir le renfermé, au mieux, ou le pourri au pire.
Les interminables “directs” Instagram
Il y a d’abord eu ces alertes pour des “directs” qui se sont vite avérés d’un ennui mortel. Pourquoi? Parce qu’ils ne sont rien de plus qu’une interminable story où la personne que l’on suit répond, en parlant et sans sous-titre, à diverses questions posées par ses followers. A ce propos, qui écoute les gens parler lorsqu’ils font 15 storys d’affilées? Qui a le temps et l’énergie pour ça? Lors de ces directs, ici, on a droit, en prime, au regard vide ou paniqué, c’est selon, de la personne interrogée, qui cherche désespérément une question intéressante à laquelle répondre.
Elle est belle, ma miche!
Il y a eu ces milliers de gens qui se sont mis à faire du pain et qui ont posté la photo de leur croûte sur Instagram en disant à tous la satisfaction d’avoir mis leurs mains dans la farine sans gluten, la seule encore dispo au supermarché “et vendue à prix d’or”. Et vas y que je te compare ma mie et que je fasse croire à tout le monde qu’elle est aussi bonne que celle du boulanger alors que je ne l’ai même pas encore goûtée. Faire du pain soi-même est devenu tellement tendance que ça ne me donne plus envie d’en faire ni parfois même d’en manger.
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Encore plus énervants en confinement: les parents parfaits
Il y a eu le match des parents qui assuraient la continuité pédagogique en filant des complexes aux autres, ces autres qui se sentaient obligés d’en rajouter sur leur incompétence parentale pour attirer la sympathie. Sur les réseaux sociaux, on se dénigre pour attirer le compliment, c’est bien connu. Il y a ceux qui ont dit que c’était un cadeau de la vie de passer tout ce temps avec leurs enfants et qu’il fallait “en profiter”… et ceux qui ont posté des blagues sur les infanticides parce qu’il faut se forcer à rire pour ne pas sombrer.
Je ne vais pas m’éterniser sur ceux qui s’improvisent virologues, épidémiologistes, médecins, politiciens, journalistes, ceux qui savent tout, mieux que toi, et surtout mieux que les experts. On les entend déjà assez.
La team des sans jardin contre ceux qui en ont un
Et puis, il y a eu ces comparaisons horribles. La solidarité et l’empathie ont vite fait place à la jalousie. On a cru un instant qu’on était tous logés à la même enseigne. Que, pour une fois, on avait un ennemi commun et qu’on allait juste se serrer les coudes pour le vaincre. Ça a duré cinq minutes…
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Après les avoir dénigrés parce qu’ils rêvaient d’un carré de pelouse (“comme si ça allait suffire à leur bonheur”), les citadins détestent désormais profondément “les gens de la campagne” parce qu’ils ont un lopin de terre pour dégourdir les pattes de leurs mômes. Avant, en ville, on entendait: “Je les plains…. Le trajet qu’ils doivent se taper pour aller au boulot… Et puis même, là où ils vivent, c’est trop calme… Moi je pourrais pas…” Aujourd’hui, ils les envient ou en tout cas, ils leur en veulent.
La taille du gazon n’empêche pas la dépression
Ceux qui ont un jardin ou une maison au lieu d’un appartement n’ont plus droit au chapitre. Ils n’osent pas se plaindre, dire leur mal-être ou leurs angoisses. Je ne parle pas des gens qui ont une résidence secondaire mais de ceux dont c’est la seule habitation, qui ont fait le choix délibéré de s’éloigner de l’agitation pour acheter ou louer un logement décent. Là où les citadins ont décidé de rester en ville parce qu’ils n’ont jamais connu que ça, parce que c’est là où tout se passe, parce que ça leur permet de passer moins de temps dans les embouteillages…
Chaque situation a ses avantages et ses inconvénients. Chaque situation a les avantages de ses inconvénients.
Mais à l’heure du confinement, sur Instagram ou Facebook, quand on vit dans un 80 m² avec de l’herbe autour, on n’a pas le droit d’être stressés! On peut pourtant avoir de l’espace à ne plus savoir qu’en faire et se sentir plus seul que jamais… La dépression n’a rien à voir avec la superficie de notre gazon.
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Quand les gens avec un jardin s’expriment désormais sur Instagram, c’est toujours pour s’excuser ou se justifier de vivre là où ils vivent. Et s’ils disent qu’ils sont contents et qu’ils se rendent compte de leur chance, ils se sentent obligés d’ajouter qu’ils ont une pensée pour “ceux qui manquent d’espace”.
Les gens avec un jardin, on s’en ficherait presque qu’ils aient perdu un proche. Et s’ils perdent leur boulot, certains viendraient à s’en réjouir: “T’as voulu ton jardin, t’as fait le malin et tu ne sais plus comment le payer? Gnark gnark.” Je rappelle quand même qu’une maison avec jardin dans un coin paumé, ça ne coûte pas forcément plus cher qu’un appartement en ville. Ça coûte parfois même moins cher, en fait.
L’herbe n’est pas plus verte ailleurs, même maintenant
Vu qu’on parle de pelouse, l’herbe est rarement plus verte ailleurs. Tu peux avoir un jardin mais être confinée avec un conjoint violent, ou que tu n’aimes plus, ou qui te trompe. Tu ne télétravailles peut-être pas avec un enfant dans les pieds mais peut-être parce que tu viens d’en perdre un et que tu essaies péniblement de t’en remettre. Tu télétravailles sans enfant mais tu vis un enfer au boulot. Tu as un jardin mais tu es médecin et à la place d’en profiter, tu vas tous les jours au boulot en risquant de te faire infecter. On dit toujours qu’il faut arrêter de parler sans savoir. Ça serait bien que ça s’applique sur Instagram, aujourd’hui.
Il ne faut pas s’excuser de bien vivre son confinement. Il ne faut pas non plus s’excuser de le vivre mal. Il n’y a pas de “meilleur” confinement qu’un autre. Ce n’est pas un match. Ce n’est pas un concours. La santé mentale de la majorité en a pris un coup. Tant mieux pour ceux qui ont la chance de ne pas trop souffrir de la situation. On ne va quand même pas souhaiter aux autres d’aller mal sous prétexte que c’est notre cas!
Une colère mal dirigée
D’autant que dans ce cas-ci, vous pouvez toujours diriger votre colère vers une personne précise, elle n’est probablement pas la responsable directe de vos malheurs, de votre chance, de vos choix de vie, de votre situation actuelle. Le problème, c’est le confinement, le coronavirus, l’incertitude qu’il provoque, et éventuellement la façon dont les politiques gèrent la situation. À la limite. Ils sont en tout cas plus responsables de votre vie actuelle que la voisine.
J’espère que ce confinement permettra aux gens qui ne se sentent pas bien chez eux de trouver leur havre de paix, une fois la liberté retrouvée. Que ça leur donnera l’impulsion nécessaire pour changer, dans leur vie, ce qui ne leur convenait pas et qui leur a sauté aux yeux pendant cette période de retranchement.
Le Covid-19 va redistribuer toutes les cartes. Il est déjà en train de le faire. On peut se concentrer sur l’effondrement à venir, être terrifiés par le pire, mais on peut aussi se convaincre qu’après l’effondrement viendra le renouveau. Concentrons-nous là-dessus au lieu de lorgner dans l’assiette du voisin. Et si c’est trop douloureux, il reste toujours l’option de désinstaller toutes les applications de réseaux sociaux. Pendant le confinement, on ne manquera, c’est sûr, aucun apéro ou aucune soirée… C’est peut-être le moment d’essayer… Et d’apprendre à vivre sans et à vivre pour soi.
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8 comments
Encore une fois, je me félicite de « rater » tout ça. Merci pour cet article.
Tout est dit, je n’ai rien à ajouter. Merci pour ce texte clairvoyant et emprunt de réelle bienveillance. Nous faisons toutes et tous comme nous pouvons et c’est bien ça l’essentiel.
Comme toujours beaucoup de sagesse dans ton article, ça a toujours été ma philosophie. Et si “Tu ne télétravailles peut-être pas avec un enfant dans les pieds mais peut-être parce que tu viens d’en perdre un et que tu essaies péniblement de t’en remettre. ” était une pensée pour mon Mini Loup, je t’en remercie profondément.
Ça l’était ??
Mille merci !
Hello Déborah,
Prêcher le “vivre pour soi” et, en même temps, tenir un blog de partage d’expériences…ça me sonne une cloche, mais je suis p-ê trop cartésien…;-D
J’aime bcp les US et vous lire à l’occasion, je précise.
Take care
Anto
Je trouve également que c’est compliqué, parfois, de lire et de voir ce qui se passe sur les RS. C’est souvent violent et très peu bienveillant. Je crois qu’aucune situation n’est meilleure que l’autre, on vit tous avec nos démons et nos difficultés. Les crises (quelles qu’elles soient) ne font qu’accentuer nos émotions et rendre notre perception parfois plus négative. Ce n’est facile pour personne. Courage.
Article d’utilité publique!
Depuis le début je suis mal à l’aise avec tous ces jugements hâtifs, alors qu’on ne sait rien de la vie des gens…ces mises en scènes même si par la simple publication sur insta je sais y contribuer…ces “erreurs de victime” (moi la première quand je me fache après mon fils alors que j’en veut à mon collègue),…
Tout est exacerbé et malheureusement je ne suis pas optimiste pour la suite, j’ai l’impression qu’il y aura encore beaucoup de comparaisons malvenues, de rancoeurs, dans “le monde d’après” …
Take Care (et continue de nous écrire de bons articles pour nous faire réflechir 🙂 )