L’année passée, alors que mon fils s’apprêtait à faire son premier camp scout, des amis m’avaient suggéré de glisser un AirTag dans la doublure de sa veste afin de me permettre de savoir, même à distance, où il se trouvait. J’avais trouvé ça un peu fou. Tentant, mais un peu fou. Je me suis rendu compte que c’était devenu une norme. Ou en tout cas quelque chose d’assez fréquent dans mon entourage plus ou moins proche. Le Washington Post consacre un article passionnant à ces parents qui mettent un AirTag dans le sac à dos de leurs enfants. Voici ce que j’en retiens et qui devrait vous faire réfléchir.
Bon, d’abord, un petit mot d’explication.
Un AirTag, c’est quoi?
Un AirTag c’est un petit gadget en forme de jeton signé Apple qui permet de retrouver des objets du quotidien qu’on a tendance à égarer, comme ses clés ou son portefeuille. Un AirTag fonctionne en envoyant un signal à n’importe quel appareil Apple situé à proximité.
Si vous avez perdu vos clés et que vous y avez attaché un AirTag, vous devez vous rendre dans l’app Localiser de votre iPhone et faites sonner l’AirTag correspondant.
Si vous avez oublié votre portefeuille à la salle de sport, il suffit de télécharger la dernière position de l’AirTag qui lui est associé. Vous verrez alors la distance qui vous sépare de vos affaires et la direction à suivre pour aller le rechercher. Pratique, n’est-ce pas? Le AirTag se vend 39 euros.
Le AirTag, c’est l’étape après les objets connectés pour bébé
Le AirTag pour les enfants en âge d’être autonomes, c’est l’équivalent des objets connectés pour bébé. Je vous invite à lire mon article sur le sujet: la majorité d’entre eux est inutile et ne fait qu’amplifier cette sensation qu’on n’est pas capable de garder notre enfant en vie sans l’aide de la technologie. Revenons-en à nos moutons…
Le AirTag n’est pas fait pour surveiller les enfants mais…
Lors de son lancement en 2021, Apple a clairement indiqué que les AirTag ne devaient pas être utilisés pour tracer les animaux domestiques ou les enfants. Mais les parents inquiets n’ont rien écouté. Ils ont vu dans cet objet la solution à toutes leurs inquiétudes.
Ils sont nombreux à glisser ces traceurs GPS dans le sac à dos de leur progéniture, sous la selle de leur vélo ou dans la doublure de leur manteau. Il existe aussi des bracelets dans lesquels insérer un AirTag, les transformant ainsi en bracelets connectés.
“Je vais surveiller ma fille à 100% jusqu’à ce que je ne puisse plus le faire”
Stéphanie Chin, mère d’une fille unique de 8 ans, explique qu’elle “s’inquiète beaucoup”. Elle trouve sa fille trop jeune pour avoir un téléphone portable mais suffisamment âgée pour avoir un peu de liberté. Elle a donc opté pour un AirTag.
“C’est mon seul enfant”, justifie-t-elle. Elle ajoute qu’elle préfère se sentir en sécurité plutôt qu’être désolée de ne pas s’être écoutée.
Quand elle sera plus grande, elle lui donnera un téléphone portable et lui fera installer une application de localisation. “Je vais la surveiller à 100 % jusqu’à ce que je ne puisse plus le faire. Il y a trop d’histoires qui circulent.” Moi, perso, cette maman et son côté extrême me fait peur…
En lisant son témoignage, je me dis que le AirTag à un enfant, c’est un peu comme un bracelet électronique à un détenu en liberté surveillée. C’est de la liberté avec un grand mais. On ne laisse pas l’enfant venir nous expliquer ce qu’il a fait et où il est allé: on le sait! Au final, est-ce qu’en faisant ça, on n’empêche pas nos enfants de nous parler? Je me pose la question…
Tara Mendola, journaliste à Philadelphie, explique que quand elle était jeune, elle pouvait sortir jusqu’à l’heure du repas du soir tant que ses devoirs étaient faits. Aujourd’hui, elle a donné un bracelet avec AirTag intégré à son fils de 11 ans et à sa fille de 8 ans. Elle dit ne pas avoir peur des enlèvements mais plutôt des voitures, des piscines et des incendies. Ok, mais je me demande: en quoi le traceur peut-il éviter ça?
Donner de la liberté à nos enfants tout en les surveillant, n’est-ce pas complètement antinomique? Pour Peter Gray, prof de psychologie et de neurosciences au Boston College, “la liberté des enfants de faire des choses par eux-mêmes a considérablement diminué au cours des quatre ou cinq dernières années.”, analyse-t-il dans le Washington Post.
Pourquoi les parents sont aussi stressés?
Selon Peter Gray, il y a deux raisons qui expliquent l’angoisse parentale:
- l’augmentation des inégalités. Les parents veulent que leurs enfants réussissent. Ils les stimulent, les poussent, les obligent à multiplier les activités afin de leur “ouvrir des portes”. Résultat? L’enfance, de nos jours, ressemble déjà à une construction de CV au détriment de la liberté et du jeu.
- les histoires horribles qui font le tour des réseaux sociaux. En vrac, récemment, parmi les choses qui m’ont traumatisée: l’incendie dans une maison de vacances en Normandie, qui a tué les trois enfants de la journaliste Julie Niel-Villemin, ou la disparition du petit Emile, 2 ans et demi. À force de voir passer ces faits-divers atroces, les parents paniquent et sont prêts à tout pour protéger leurs enfants de tous les risques.
Quel impact ça a sur les enfants?
Toujours selon le professeur de psychologie et neurosciences américain, à force d’être ainsi “fliqués”, les dépressions et l’anxiété augmentent chez les enfants. Ils ont du mal à se sentir responsables de leur propre vie.
Les parents d’aujourd’hui sont incapables d’offrir à leurs enfants l’enfance qu’ils ont eux-mêmes eue alors qu’ils répètent à tout-va qu’ils l’ont tant appréciée.
Lenore Skenazy, fondatrice de Free-Range Kids, une organisation qui milite pour l’adoption de lois en faveur de l’indépendance des enfants, estime: “Nous nous trompons complètement lorsque nous pensions que les enfants sont en danger dès qu’ils ne sont plus dans le champ de vision de leurs parents.”
Elle regrette l’utilisation des AirTag sur les enfants. Pour elle, ça normalise l’idée qu’ils ne sont pas en sécurité quand ils ne sont pas surveillés de près. Elle invite les parents à faire confiance à leurs enfants. « Si vos parents vous font confiance et croient en vous, c’est un cadeau incroyable. Avec les dispositifs de traçage, l’enfant ne peut pas prouver qu’il est digne de confiance. »
La peur irrationnelle des enlèvements
Les parents qui mettent des AirTag à leurs enfants ont souvent peur des enlèvements. Mais en réalité, aux États-Unis, les accidents sont la première cause de décès des enfants. Pour les enfants de 10 à 14 ans, le suicide arrive en deuxième position. Enfin, vient le cancer.
À titre de comparaison, 30.000 enlèvements ont lieu chaque année aux États-Unis et sont généralement le fait d’un membre de la famille. Seuls 10 à 15 des cas recensés chaque année sont de véritables enlèvements.
“Nous avons tous été élevés dans l’idée qu’un type à moustache et aux lunettes d’aviateur roulant en camionnette blanche allait ouvrir la porte latérale et enlever des enfants dans la rue”, note John Bischoff, chef de la division des enfants disparus au National Center for Missing & Exploited Children. “Statistiquement, il est très rare que cela se produise, mais, de toute façon, tracer les enfants n’empêche pas que cela arrive.”
Comme on dit: la peur n’empêche pas le danger.
Pour lui, le plus grand danger de nos jours, ce sont les rencontres en ligne. Le AirTag n’empêche pas ça. Les parents tentent aussi de contrôler ce que leurs enfants font online mais la meilleure chose à faire est, encore une fois, d’instaurer la confiance en ayant des conversations honnêtes sur les dangers d’Internet.
Les parents sont manipulés par les géants de la tech: “Il existe une culture de la peur”
Toujours dans le Washington Post, Laura Fram, mère de famille de 45 ans, dit quelque chose de très juste sur le sujet des AirTag. Elle n’en utilise pas. Elle laisse sa fille de 14 ans s’absenter de la maison sans jamais la suivre à la trace. “Elle a la liberté de faire des erreurs et de choisir des choses qui ne sont pas les meilleures”, dit-elle. “En suivant vos enfants, vous pourrez vous assurer aujourd’hui qu’ils sont sur le droit chemin, mais vous perdrez la bataille à long terme.”
Autre intervention intelligente: celle de Susan Linn, autrice de Who’s Raising the Kids ? Big Tech, Big Business, and the Lives of Children. “Il existe vraiment une culture de la peur, et c’est en partie intentionnel. C’est du marketing.”
“Cela rend tous les membres de la famille encore plus dépendants de la technologie, et c’est le but de tous ces appareils. Ils rendent les enfants encore plus dépendants et les parents encore plus dépendants, de sorte que l’on commence à croire que l’on ne peut pas vivre sans eux.”
Le AirTag pour surveiller nos enfants: mon avis
Comme je vous le disais: je comprends l’envie et l’idée du AirTag ou autre système de géolocalisation pour nos enfants. Quand on devient parent, on est inquiet tout le temps. J’y ai réfléchi: je ne suis pas sûre que ça calmerait mes angoisses. Au contraire: ça m’en créerait des nouvelles. Parfois, je préfère ne pas savoir et faire confiance: en mon enfant et en la vie.
Si j’avais mis un AirTag à mon fils lors de son premier camp scout, je n’aurais probablement jamais réussi à faire autre chose de mes journées que penser à ses activités. Si en jetant un coup d’œil à mon application, j’avais vu qu’il était en ville, j’aurais sans doute paniqué en pensant aux voitures susceptibles de le renverser. Un AirTag ne peut rien faire contre ça, n’est-ce pas?
En y réfléchissant, je me dis que j’aurais détesté ça, étant enfant. Même si je ne faisais pas de bêtises et que je n’avais rien à cacher. Et je détesterais qu’on sache toujours où je suis, adulte. La vie est faite d’imprévus et de surprises, ça me soulerait de me justifier au moindre changement d’itinéraire.
Enfin, dernière réflexion concernant le AirTag chez les enfants: un manteau et un bracelet, ça s’enlève et un sac à dos, ça s’oublie. Donc à quoi bon?
Bon, dites-moi, qui, ici, utilise un AirTag pour tracer son enfant? Pourquoi? Est-ce que ça apaise vos angoisses? N’hésitez pas à réagir en commentaire, les débats font avancer les réflexions de tout le monde.
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