Un enfant sur sept de troisième maternelle n’était pas prêt pour l’école primaire. C’est ce qui ressort d’une enquête menée par les Editions Erasme auprès de 60 enseignants de maternelle. Le Flair y a consacré un article. La DH aussi. J’ai été immédiatement agacée par cette notion très vague de « pas prêt ».
Je suis maman d’un enfant qui vient de rentrer en première primaire et j’ai l’impression que mes capacités et mon implication sont perpétuellement remises en cause. On n’explique pas aux parents ce qu’ils sont censés faire pour « préparer » leurs enfants.
Moi, en tout cas, je n’ai pas reçu de checklist ou de mode d’emploi. On ne nous dit rien mais on est censés tout savoir. J’ai l’impression qu’on demande aux parents de combler en permanence les manquements du politique. Ils ont rendu l’instruction obligatoire et ça serait à nous, parents, de s’en charger? Mais chacun son rôle!
« Pas prêt pour l’école »: mais ça veut dire quoi?
On apprend donc dans ces articles que les enfants ne « commencent pas leur carrière scolaire sur un pied d’égalité ». Et que pour pallier à ce problème, les Editions Erasme ont créé le label Bases d’apprentissages, une norme d’évaluation des livres scolaires.
Il est vrai que tous ne se valent pas et ce label me semble être une bonne chose s’il s’adresse aux enseignants. Mais il y a quelque chose qui me dérange dans le discours des éditions Erasme.
Le communiqué de presse annonce: « Les parents s’attendent de plus en plus à ce que tout soit enseigné en classe. À la maison, ils ont de moins en moins de temps pour apprendre de manière ludique à leurs enfants à compter ou à lire. Les enfants qui ne peuvent pas suivre sont immédiatement exclus. »
C’est un peu agaçant ce raccourci qui voudrait que les parents soient directement responsables de l’exclusion scolaire de leurs enfants, non? Quand on travaille à temps plein, non, on n’a pas toujours le temps de jouer, on rentre tard, on est HS, c’est la course tout le temps.
Rien n’est fait en Belgique ou en France pour avoir le temps. La société n’est toujours très kid friendly. Je trouve du coup l’info culpabilisante à souhait. Et pas très claire.
Une « opinion subjective » des enseignants interrogés
J’ai contacté Barbara Vangheluwe, CEO des Editions Erasme, pour comprendre ce sondage. Peu disponible cette semaine, elle m’a répondu brièvement par email. Je lui ai demandé ce que ça voulait dire quand on disait qu’un enfant n’est pas prêt pour l’école primaire.
« C’est l’opinion subjective des enseignants qui ont participé à l’étude », m’a-t-elle répondu. « C’est leur interprétation, donc difficile à standardiser. Dans la pratique quotidienne, ils voient que beaucoup de leurs enfants n’avaient pas les compétences nécessaires pour bien commencer la primaire. »
Je lui ai demandé aussi: à qui la faute? « Je ne veux pas pointer du doigt à quelqu’un ou à un groupe de personnes. C’est une responsabilité partagée. Nous essayons de formuler des solutions pratiques et faciles pour les parents et les enseignants, qui respectent les enfants dans leur développement, sans les forcer. »
Les éclaircissements de Bruno Humbeeck, psychopédagogue
Ca n’a pas vraiment calmé mon agacement parce que ça n’a pas vraiment répondu à ma question. J’ai donc appelé Bruno Humbeeck, psychopédagogue (que j’avais déjà interviewé pour cet article sur les différentes pédagogies, qui vous avait fait beaucoup réagir), pour qu’il analyse cette notion de « pas prêt pour l’école primaire » avec moi.
Bruno, dire qu’un enfant de maternelle n’est « pas prêt » pour l’école primaire, ça veut dire quoi?
Il faut comprendre une notion importante: le passage d’un statut d’enfant au statut d’élève ne se fait pas naturellement. Au sujet du sondage, quand je vois les chiffres cités, je suppose que les enfants dont on parle sont des enfants issus de milieux défavorisés. A leur entrée en primaire, les enfants ont un patrimoine linguistique plus ou moins important. Un enfant issu d’un milieu défavorisé aura 700 mots à sa disposition tandis qu’un enfant issu d’un milieu favorisé en aura 2000.
Une enseignante de maternelle qui va délivrer des apprentissages de qualité peut faire la différence. Mais selon l’enseignement délivré, il y a des enfants qui vont apprendre à parler de mieux en mieux et d’autres qui vont apprendre à se taire de plus en plus.
Dans les milieux défavorisés, on a tendance à dire à l’enfant: obéis à madame. On dit d’obéir à des personnes. Dans les milieux favorisés, on va dire: obéis aux règles de l’école. C’est très différent. En fait, ici, il faut savoir de quel enfant il s’agit. L’école en tout cas est face à une tâche impossible: parce qu’on ne lui donne pas les moyens de préparer les enfants au mieux.
Qu’attend-t-on exactement d’un enfant qui entre en première primaire?
Rentrer à l’école pour un enfant, c’est faire un saut dans le vide. C’est comme monter dans un autobus. Certains ratent le départ et ceux-là vont passer des années à courir pour rattraper le bus qu’ils ont manqué. On attend de l’enfant qui rentre en primaire qu’il devienne un élève. Et c’est dit de manière implicite, comme si c’était quelque chose d’automatique.
Je comprends votre agacement. Parce que les parents n’ont pas mis au monde un élève. Ils ont accouché d’un enfant. C’est à l’école d’apprendre ça aux enfants. L’école doit mettre en place des rituels. Elle doit expliquer quelles sont les règles nouvelles à suivre, comment parler la langue de l’école. Il faut expliquer à l’enfant: tu es un élève, tu vas devoir parler une autre langue, il y a d’autres comportements qu’on va attendre de toi.
Quand il quitte l’école, l’enfant a le droit d’enlever son petit costume d’élève?
Oui. C’est vraiment ça, c’est un costume qu’il doit mettre quand c’est nécessaire et enlever quand il rentre chez lui. C’est tout un apprentissage pour l’enfant. Il ne doit, par exemple, pas lever le doigt pour solliciter la parole à la maison. Ca c’est une chose qu’on fait à l’école. On doit bien séparer ce qui se passe à l’école de ce qui se passe à la maison.
Pendant le confinement, on parlait de faire l’école à la maison. C’est stupide. L’école n’est pas la maison et vice-versa. Les parents qui ont fait l’école à la maison, en respectant le même planning, les mêmes récréations, ont été droit dans le mur. Ceux qui ont fait des apprentissages à la maison en utilisant les supports de la maison: des dessins animés, des balades dans le quartier, s’en sont beaucoup mieux sortis.
Comment on fait, en tant que parents, pour « préparer » l’enfant à son entrée en primaire?
Il faut ritualiser le passage de l’un à l’autre. L’enfant comprend bien mieux les rituels que les mots. On utilise des rituels pour aider l’enfant à dormir et le faire passer du statut d’enfant éveillé au statut d’enfant qui dort. On peut faire pareil pour faire passer l’enfant du statut d’enfant au statut d’élève. Certaines écoles proposent un espace bisou-câlin. Rien n’empêche d’inventer le nôtre.
Pour qu’il comprenne: Je suis ta maman mais au moment où je te lâche la main dans la cour, tu es un élève et tu fais partie d’un groupe qu’on appelle une classe. L’enfant doit apprendre qu’il appartient à une classe et que ça suppose que le groupe est traité de manière égale à lui.
Cette phrase qui veut qu’un enfant « n’est pas prêt » m’agace fortement et je ne comprends pas pourquoi. Vous avez une piste?
Parce que quand on dit ça, on ne dit rien. On parle de quoi? De matière? De comportement? C’est une façon de dire que les enseignants ont un métier difficile. Derrière cette affirmation, il y a quelque chose qui ressemble à une plainte. Et c’est une plainte qui doit être entendue.
Si un enfant maîtrise 700 mots et un autre 2000, vous ne savez pas enseigner de la même façon à tous. Je le disais: l’école est face à une tâche impossible parce qu’on ne lui donne pas assez de moyen.
Le problème, et on le sait depuis longtemps, il est politique! J’ai une autre question dans la foulée de ce sondage: que pensez-vous des livres d’activités? Faut-il y avoir recours à la maison? Ca peut aider l’enfant à être prêt pour l’école?
Je pense qu’il ne faut pas transformer les parents en enseignants. C’est dangereux pour les parents et c’est injurieux envers les enseignants. Le domaine des parents, c’est l’enseignement implicite. Ils doivent rester dans ce domaine, dans lequel ils excellent. Les parents doivent s’amuser avec leurs enfants, ne pas s’énerver s’ils n’assimilent pas la matière selon le rythme prévu par le rythme scolaire.
Si vous soufflez et soupirez quand vous ouvrez un livre, fermez-le, ça ne sert à rien. Il faut avoir du plaisir pour apprendre avec l’enfant et pas à sa place. J’entends beaucoup de parents dire: Je ne comprends pas, mon enfant a eu 0/10 alors que sa poésie, il la récitait sans faute à la maison. Mais en fait, cette poésie, la maman peut la réciter, le papa peut la réciter mais ils l’ont récitée à la place de l’enfant qui les a surtout écoutés. Le plaisir, c’est le premier apprentissage.
Quand on fait les devoirs avec son enfant, on arrête directement si on commence à s’énerver?
Oui. Quand on commence à prendre un burin en espérant que ça rentre, il faut renoncer. Et il faut pouvoir en discuter avec l’école. Tout le monde y gagne: l’enfant n’est pas confronté à un parent qui s’énerve, le parent arrête enfin de s’énerver et l’enseignant arrête de corriger des devoirs contaminés par l’influence des parents.
Il faut dire à l’école: je suis un parent, pas un enseignant, il ne comprend pas, et je n’ai pas envie de m’énerver. Généralement, les enseignants apprécient beaucoup ce discours.
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1 comment
Un tout grand merci pour cet article ! Le mien est seulement en deuxième maternelle mais j’ai ressenti exactement la même chose en lisant les résultats de cette enquête : en quoi est-ce ce qu’ils ne sont pas prêts ? Comment aider mon fils ?
Perso, j’ai du mal avec la réponse du commanditaire de l’enquête… ça me donne vraiment l’impression d’une enquête pour soutenir le lancement de ce label, même si en soi, ce n’est pas forcément une mauvaise idée.
Merci aussi, à vous et le psychopédagogue, de nous déculpabiliser une fois de plus ?