Chose promise, chose due. Voici la deuxième partie consacrée à l’école internationale Bogaerts, la première étant ici. Je voulais vous parler de ce qu’on y fait, vraiment.
En vue de faire cet article, j’ai passé une journée à l’école. Je me suis invitée dans les classes des petits, j’ai traîné au cours d’art des plus grands, je voulais voir avant de raconter.
Et j’ai demandé au directeur, David-Ian Bogaerts, de m’expliquer ce que j’ai vu. En pratique, voilà ce qu’on y fait, comment on voit les choses là-bas… et pourquoi on paie si cher.
Je trouve qu’il y a des idées plutôt inspirantes.
Port de l’uniforme obligatoire: pourquoi?
À l’école Bogaerts, l’uniforme, c’est pantalon et cardigan bleu marine et polo ou chemise blanche. “Il y a du pour et du contre mais c’est social.
Ce sont des écoles chères mais il y a des parents qui ne gagnent pas des fortunes et qui paient l’école. Ils sont privilégiés à une certaine échelle mais ils paient l’école de leurs poches là où pour d’autres, c’est pris en charge par leur entreprise”
J’en fais partie: on paie le minerval personnellement. Je croise régulièrement des gens célèbres, des Français, dans la cour.
Certains parents d’élèves ont des piscines chez eux, d’autres viennent à l’école en Tesla avec portières papillon et il y a beaucoup de nounous à la sortie des classes.
“L’uniforme, ça uniformise”, rappelle le directeur. “Les enfants sont tous sur le même pied d’égalité.”
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Ça n’empêche pas Ezra de me parler des grandes maisons de ses copains alors que lui (petit malheureux) vit dans un appartement.
Mais bon, je m’y attendais et de toute façon, la comparaison est partout.
Je trouve, perso, que ça évite les prises de tête le matin pour trouver un pantalon qui va avec le reste. Donc ça me va.
Pédagogie Montessori? Oui, mais…
“Montessori, ça veut tout dire et ne rien dire”, note David-Ian Bogaerts. “Maria Montessori est arrivée avec une méthode qui était révolutionnaire à l’époque. C’est une méthode appréciée en maternelle et primaire mais pas trop en secondaire.”
Le cursus d’Ezra est d’inspiration Montessori mais c’est surtout un joyeux mélange de tout ce qui se fait de bien. “Tout système à la base prône l’épanouissement de l’enfant. Tout le monde est bien intentionné”, rappelle David.
“Il y a du Montessori en Early Years mais dès la primaire, c’est l’IB.”
La confiance et le résultat avant tout
À l’école Bogaerts, j’ai vu des élèves assis dans des canapés en classe, pendant le cours. Il y avait de la musique classique diffusée dans les baffles dans certaines classes et il y a une liberté de circuler dans les couloirs.
A mille lieues de ce que j’ai connu plus jeune, dans une école catho qui ne nous donnait même pas le droit de quitter ses murs pour aller s’acheter un sandwich.
“On offre une liberté contrôlée. Tant que ça avance, moi je ne m’énerve pas. Certains élèves travaillent mieux debout. Eh bien, ok, qu’ils travaillent debout. S’ils travaillent mieux à l’envers, ok pour moi. Tant que le résultat est là… On a des cultures, des langues différentes. On prône énormément la différenciation dans les classes, c’est un combat de tous les jours.”
Et ça va jusqu’aux cours donnés en classe. “Les profs sont souvent habitués à donner un cours identique à toute une classe. Mais ça ne marche pas. Quand je donne cours de math, je donne des exercices plus difficiles aux plus forts et des exercices plus simples aux plus faibles. Les exercices sont différents mais on avance tous vers le même objectif.”
Et si les élèves abusent de la confiance de leurs professeurs et que les résultats ne sont pas au rendez-vous, “on les coince un petit peu.”
Comprenez: on revient dans une façon de faire plus traditionnelle, plus passive. “Je leur dis que c’est stupide, mais si c’est ce dont ils ont besoin…”
Pas de colle à l’école
A l’école Bogaerts, il n’y a pas de punition. Un élève n’aura pas de colle. S’il y a un souci, il est envoyé dans la pièce destinée au “Responsible Thinking”.
“Tout le staff a été entraîné. Ce n’est pas répressif. On discute de ce qu’il s’est passé. Toute une procédure a été mise en place. Les élèves passent d’abord par la self reflexion.”
“Parfois, ils se punissent eux-mêmes en décidant d’aller s’excuser. Parfois, ils ont des soucis familiaux à la maison, il y a des crises d’adolescence, c’est normal, on est tous passés par là: il faut exister, être populaire. Ca se règle grâce à ça et ça fonctionne très bien. On punit le moins possible.”
Pas de devoirs
J’ai détesté mes retours d’école en secondaire. Les cours étaient loin d’être finis. J’en avais encore pour plusieurs heures d’exercices en tout genre.
Je me souviens de ma fatigue, de mon impossibilité totale de me concentrer et de mon envie folle de faire autre chose. A l’école Bogaerts, les élèves n’ont pas de devoirs, les petits chanceux.
“On fait le plus possible ici et le moins possible à la maison. Dans un système ultra conservateur, ils ont cours toute la journée et puis, quand ils rentrent à la maison, ils doivent faire des exercices. Oui mais quand on fait des exercices, c’est à ce moment-là qu’on a des questions. Et le professeur n’est pas là. On doit trouver des parents qui aident mais ils rentrent du boulot, ils sont crevés ou ils n’ont pas le niveau.”
“Il faut faire des exercices, de la pratique. Si tu veux être bon en sport, il faut taper dans la balle parce que tu peux regarder Roland Garros toute la journée, tu ne joueras pas mieux au tennis. C’est pareil en math: si tu veux être bon en math, il faut faire des exercices.”
David-Ian Bogaerts invite ses professeurs à faire les exercices pratiques en classe, avec leurs élèves. “Si c’est juste donner cours devant une classe, autant regarder YouTube.”
Beaucoup de pratique
Évidemment, il y a de la théorie à assimiler mais j’ai vu beaucoup d’élèves mettre les mains dans le cambouis.
Ça bougeait pas mal en classe, ça construisait des trucs. “Il faut manipuler. On pousse à tout ce qui est engineering, même en primaire. Je n’ai rien contre la philo. Mais le monde de demain, il est probablement plus fait d’ingénieurs. On veut leur donner le goût de ça.”
Petite parenthèses: je vis de mon écriture et mon mari est musicien. On est plutôt dans la team artistes à la maison, du coup, je comprends ce qu’il veut dire, je suppose qu’il a raison, mais ça m’attriste quand même ce côté pragmatique.
Les primaires manipulent donc beaucoup. “Et tant mieux parce que sinon, ils arrivent en secondaire, on leur donne plein de formules en chimie et physique et ils ne comprennent rien. C’est plus sympa quand on peut voir les choses. On veut leur montrer le sens de tout ça.” Ça fait un peu rêver, non?
“Tout le monde rêve de trouver une solution à ce système scolaire. Quitte à passer autant de temps sur les bancs de l’école, autant chercher de nouvelles façons de faire.”
Je lui parle de ma vision des choses, de l’art qui nous fait manger, chez nous. Il précise que l’art n’est pas du tout une matière fourre-tout à Bogaerts.
“On fourgue souvent en art ceux dont on ne sait pas quoi faire. Mais je crois que quoiqu’on fasse, si on le fait bien, il y aura des débouchés. Pourquoi mettre ceux qui sont nuls en math en art? Ce n’est pas parce qu’on n’aime pas les maths qu’on aime le dessin. On stigmatise certaines matières, c’est ridicule.” Je ne peux qu’être d’accord.
L’importance des soft skills
C’est une chose qui ne cesse de m’étonner depuis le début de l’année. Dès les maternelles, les enfants font des exposés et des petites présentations devant la classe. Ils apprennent à s’exprimer en public, à se tenir droit, à vaincre leur timidité.
“J’essaie de pousser mes étudiants vers des choses qui seront utiles demain. Les Américains font très bien ça. Ils poussent les soft skills: les Américains sont très sûrs d’eux parce qu’ils ont toujours appris à parler en public, ils testent beaucoup de choses.”
Dans l’idée d’apprendre des choses utiles aux enfants, Bogaerts voudrait “pousser l’informatique et la dactylographie”.
“Ça peut faire sourire. Mais on écrit des millions de pages dans sa vie. Si quelqu’un apprend à taper 20% plus vite, il sera content, non? Pourquoi ne pas apprendre ça à l’école? J’ai envie que mes élèves disent plus tard: j’ai appris ça à l’école”.
Les langues à l’école Bogaerts
Ici, on parle anglais toute la journée. Mais le français reste important. “Je veux que les élèves étrangers parlent bien français. Les francophones auront un très bon niveau de français. Ils sauront écrire des dissertations, des commentaires de texte. En primaire, on est à 1 heure de français par jour. En secondaire, ils apprennent l’espagnol aussi.”
David-Ian Bogaerts prône le multilinguisme: “Je ne crois pas au bilinguisme. Quand on est bilingue, il y a toujours une langue qui mange l’autre.”
Message aux Belges: il n’y a pas de néerlandais, simplement parce qu’il n’y a pas de demande de la part des parents. “On dit que l’école a un tiers du temps éveillé des élèves. Je n’ai que de 8h30 à 15h30. Il faut être efficace.”
Le génial principe des Houses
Je rigole souvent en disant que mon fils va à Poudlard. Le bâtiment de l’école Bogaerts est impressionnant par rapport à ce qu’on connaît à Bruxelles. Et j’ai découvert l’existence des Houses, ça renforce mon impression du coté british d’Harry Potter. Chaque élève appartient à une “maison”.
Dans cette “house”, il y a des élèves de toutes les classes, mélangés au hasard. Tout au long de l’année, il y a des petits défis, des challenges à relever. Les gagnants sont récompensés par des petits cadeaux.
Explication: “Les Houses, c’est anglo-saxon. Ça permet l’appartenance à un groupe. On casse les groupes d’amitiés et on pousse les élèves à rencontrer d’autres personnes. Les grands se mélangent aux petits. Les 5e secondaires doivent par exemple aider les troisièmes primaires sur un projet.”
“Tout au long de l’année, on a des petits jeux, ils vont pouvoir gagner des choses. La House gagnante peut, par exemple, ne pas venir en uniforme pendant une journée ou bien, vu que bonbons et chocolat sont interdits sur le campus, ils peuvent avoir des sucreries. Ils ont évidemment des trucs qui les intéressent.”
Ce principe de Houses pousse à la collaboration entre élèves. “Il y a un petit esprit de compétition et ça apprend aux grands à gérer les petits. On a de belles surprises avec ça. On a deux trois gamins qui ont une certaine énergie en secondaire et qui sont plus apaisés, plus cool quand ils sont en contact avec les petits.”
Je trouve en tout cas le principe super, ça sort les élèves de leurs groupes habituels, ça leur permet d’agrandir leur cercle. Ezra fait des checks à des grands de 18 ans en me disant: “Lui, c’est mon copain”. C’est assez drôle.
Conclusion
L’année n’est pas terminée mais je suis contente qu’Ezra fasse sa troisième maternelle à l’école Bogaerts le temps de notre année de transition.
Ça aura été une année particulière, mais je l’ai vu progresser et s’épanouir. Il aurait pu progresser et s’épanouir ailleurs, j’en suis bien consciente. Mais je me dis que l’année fut exceptionnelle et que son année scolaire a suivi le mouvement.
Il ne fera pas toute sa scolarité là-bas, même si on ne repart jamais: je n’ai tout simplement pas les moyens sur la longueur.
Mais avec ces deux articles, cette semaine, je voulais vous donner une vue de l’intérieur d’une école privée belge. Je n’en connaissais absolument rien avant d’en pousser la porte.
J’espère vous avoir appris deux, trois petites choses.
2 comments
Ça me donne envie d y envoyer mes enfants en tout cas 🙂
Malheureusement, quand on te lit, on comprend que c’est ainsi que devrait fonctionner notre système éducatif. Sans le coût prohibitif qui y est lié.
Le mélange du système éducatif anglo-saxon avec la petite rigueur du système européen.
À nous, parents, de combler les lacunes de l’un et l’autre de ces systèmes. Mais, ce n’est pas donné à tous de pouvoir le faire.
C’est là que notre système belge pêche.
Je me souviens de mes cours de math dans lesquels je m’en sortais, mais sans savoir, ni apprendre la finalité de ce que je faisais. Idem en physique, chimie, dessin, …
L’éveil de nos enfants est malheureusement encore grandement incompris.