C’était il y a six mois et je ne m’en remets pas. C’est l’Amérique des grands espaces. La poussière est partout. Il fait chaud et sec. La terre est comme brûlée par le soleil. En février dernier, on a tiré une pointe en Arizona, on a aussi traversé un petit morceau d’Utah avant de revenir par le Nevada et atteindre le désert californien où l’on vit actuellement. Je vous avais déjà parlé de la claque prise dans l’Antelope Canyon. C’est le genre d’endroit où la nature te réduit au silence. Enfin, moi et tous les adultes normalement constitués. Ezra, lui, ne se taisait pas. Du tout. Voici la suite du voyage, carte postale ponctuée d’anecdotes familiales.
Après un arrêt peu intéressant à Mesa, près de Phoenix, on a atterri à Flagstaff, au coeur de la Coconino National Forest. Avant ça, on a traversé Sedona, cerclée de roches rouges dont la couleur varie en fonction de l’intensité des rayons du soleil. C’était un avant-goût de ce qui serait mon coup de coeur de ce road-trip mais je ne le savais pas encore.
A Flagstaff, on logeait dans un hôtel “comme dans les films” le long d’une grande route toute droite et construit en U autour d’un grand parking. En ville, la gare est sympa pour qui est en possession d’un enfant obsédé par tout ce qui roule. Mais on était surtout là pour prendre l’air: on est donc allé faire quelques pas dans la forêt silencieuse.
Les arbres sont tellement grands qu’ils semblent comme engloutis par le ciel. Il faisait frais, ça sentait le pin et Ezra ne voulait pas marcher. Alors on est parti pour le Grand Canyon. L’incontournable et touristique. Traduisez: pour pieuter, c’est moche et cher. A priori, on n’est pas dans la région pour dormir ou traîner à l’hôtel, l’idée était donc de trouver un bon rapport situation idéale (pas trop loin de l’entrée du parc) – prix. On a (mal) dormi au Grand Canyon Plaza Hotel dans une chambre sombre et triste avec vue sur la piscine intérieure et quelques échafaudages. Aucun intérêt. Si vous avez l’occasion de vous organiser avec un peu d’avance, les campings dans l’enceinte même du parc sont probablement la meilleure option. On s’est levé tôt (quand Ezra l’a décidé, quoi!) et on est allé traverser le Grand Canyon en voiture.
Parce que oui, c’est comme ça qu’on fait. Je me souviens de la première fois que j’ai pénétré dans un parc naturel américain, c’était au Joshua Tree il y a 9 ans: je pensais qu’on déposait la voiture à l’entrée et qu’on se baladait à pied sur les sentiers aménagés. Je n’avais retenu que le mot parc dans l’énoncé, je n’avais pas compris que si le mot s’acoquinait avec l’adjectif “américain”, ça voulait dire que c’était d’une taille défiant tout ce que j’avais pu voir jusque là dans ma vie. Les parcs américains se visitent en voiture (généralement grosses, souvent polluantes #tristesse). On va d’un parking A à un point de vue B, muni d’un plan détaillé donné à l’entrée (payante) comme à Disneyland. Petit conseil: pour éviter les cars de touristes japonais ou les parkings bondés qui vous empêchent de vous arrêter (parce que non, on ne jette pas sa voiture le long de la route comme on peut le faire un jour de marché dans le Sud de la France en plein mois d’août), venez tôt.
Le canyon est évidemment gigantesque et magnifique mais je n’ai pas été aussi soufflée que je pensais l’être. N’allez pas croire que je suis blasée mais je pense que l’endroit est tellement connu, tellement ancré dans l’imaginaire, tellement vu et revu en photos et vidéos, que j’avais l’impression de l’avoir déjà eu sous les yeux. Ezra, en sortant de la voiture, a, lui, constaté en pointant son index vers le goufre: “Oh un caillou”. Un gros, dont la gorge a été creusée par la rivière du Colorado à la fin de l’ère des dinosaures. C’est tellement loin que ça ne veut presque ne rien dire. La profondeur du canyon était vertigineuse mais ça n’a pas empêché les quelques personnes croisées ce matin-là de prendre la pose debout sur les petits murets sécurisant la route. De quoi me donner envie de vomir de peur ou de mettre des claques. Le Grand Canyon est connu pour ses randonnées (on commence par descendre et on revient en grimpant, ça change des trails traditionnels) et sa passerelle en verre qui, depuis un peu plus de dix ans, permet aux gens d’être debout 1300 mètres au-dessus du vide. Je n’ai fait ni l’un ni l’autre, je ne peux donc pas vous en parler.
Du Grand Canyon, on s’est mis en route pour Monument Valley, dans le pays Navajo. La route pour atteindre la terre appartenant aux Indiens est déserte ou quasi. On avale des miles et des miles de bitume entre les montages qui rougissent au fur et à mesure de notre approche. Le long du trajet, la population locale vend des petites créations artisanales. A Monument Valley, la terre est rouge sang, cinématographique à souhait. On se croirait dans un western ou dans un album de Lucky Luke. Il y a d’ailleurs le John Ford’s Point, du nom du réalisateur américain, qui rassemble des dizaines de touristes chaque jour, désireux d’avoir une vue panoramique sur le parc.
Une route serpente entre ces roches auxquelles la nature et la météo ont donné des visages ou des significations. Après s’être acquitté d’un droit d’entrée, on la prend en voiture, en douceur. On découvre les buttes des Three Sisters, le Totem Pole, un éléphant apparaît au détour du sentier praticable mais pas bétonné… Le vent souffle, la chaleur s’infiltre dans les poumons à chaque respiration. Que l’on soit croyant ou non, on ne peut nier qu’il y a quelque chose de mystique qui flotte dans l’air. Un paysage d’une telle beauté peut-il seulement être dû au hasard? Les Navajos n’y croient pas un instant: pour eux, les rochers sont vivants. L’endroit est sacré et ne vous avisez pas de sortir du sentir sans guide attitré. Pour en voir plus, une visite accompagnée d’une guide est recommandée. A Monument Valley, on a logé au super Goulding Lodge, à quelques kilomètres du parc.
Dans le coin, il n’y a rien à faire à part se poser sur le balcon et admirer la vue. Prévoyez vos bières si vous voulez trinquer aux merveilles de la nature: on ne trouve pas d’alcool dans le pays Navajo. En partant, on a emprunté la route sur laquelle Forrest Gump arrête sa course folle longue de trois ans. En jetant un coup d’oeil dans le rétro, j’ai eu un frisson: on ne revient pas chaque année dans une région aussi reculée. Je ne sais pas si un jour j’y remettrai les pieds et ça m’a chamboulée de savoir que c’était la première mais peut-être aussi la dernière fois que j’embrassais ce paysage incroyable des yeux.
Autre choc, celui-là à Page, repaire de logements tristounes mais point central pour des visites incontournables. Je vous avais parlé de notre descente dans l’antre de la terre, à Antelope Canyon, dans le coin, il y a aussi Horseshoe Bend, lui aussi creusé par le fleuve Colorado. Jusqu’ici assez sauvage, des travaux sont réalisés pour rendre cette autre beauté de la nature accessible aux personnes à mobilité réduite et aux familles avec poussettes. En soi, ce n’est pas une mauvaise idée mais en pratique, j’ai peur que ça brasse encore plus de touristes. Pour l’instant, le Horseshoe Bend est la réunion de toute la bêtise humaine. Après une marche courte mais pentue, on atteint ce trou creusé dans la roche par la violence du courant. On était encore à 30 mètres du bord qu’on avait déjà tous les deux envie de vomir. Ezra ne se rendait compte de rien: il jouait aux petites voitures accroupi sur le sol.
On n’a pas tenté de lui montrer l’objet de toutes les attentions: trop dangereux avec un enfant si petit et pas toujours docile, selon moi. Sujets au vertige tous les deux, on a d’ailleurs été bien incapable de s’approcher assez du bord pour immortaliser la courbe complète du fer à cheval. Dans ce cas-ci, je dirais que mes jambes flageolantes étaient une preuve de bonne santé mentale. Il n’y aucun garde fou et les touristes présents étaient prêts à tout pour obtenir le cliché qui ferait cliquer sur Instagram. J’ai vu des jeunes filles asiatiques s’asseoir les jambes dans le vide pour une photo de dos, des couples collés-serrés dos au vide, talons sur les bords de la roche. J’imaginais le coup de vent ou la semelle de baskets qui dérape. Rien de l’écrire, j’ai encore mal au ventre. J’ai vu des gens escalader les rochers des alentours pour une vue aérienne encore plus folle. Il y a déjà eu des morts et je m’étonne, après avoir vu ça, qu’il n’y ait pas plus de drames.
Pour rentrer, on est passé par le Zion Park et notre arrivée en voiture fut là encore époustouflante. Le soleil couchant frappait les parois de la roche, c’était rouge, orange et éblouissant. Je ne vous parlerai pas des trails du parc parce qu’avec Ezra, on fait plein de choses mais on ne se lance pas dans des balades de plusieurs kilomètres, même adaptées à ses petites jambes. On a déjà tenté l’expérience, il n’est pas encore prêt à prendre sur lui et à aller de l’avant quand il en a marre de marcher. Mais je peux vous dire que notre hôtel choisi au hasard fut un petit nid parfait de fin de trip, super bien situé en plus d’être joli et confortable. Notre chambre disposait de trois pièces: une chambre et une salle de bain attenante et un petit salon dans lequel se trouvait également un lit superposé. Dans lequel Ezra a demandé à dormir alors que jusqu’ici, il n’a jamais connu que son petit lit pliable en voyage. Il n’y est plus jamais retourné. Notre fils a donc fait sa première nuit dans un grand lit en Utah, complètement par hasard. Dans le Zion Park, on s’est promené sur les sentiers aménagés le long de l’eau et on a profité de spots sympas sur la rive.
Sur le retour, on devait s’arrêter à Las Vegas. Non pas par envie mais parce que la route était longue et qu’on craignait un ras-le-bol de notre petit passager. On avait choisi d’éviter le Strip après une mauvaise expérience en famille. On a donc pris un hôtel juste à la sortie du Las Vegas touristique. La moquette sentait la bière de la veille ou d’il y a une semaine, les machines à sous faisaient un bruit assourdissant qui ne faisait pourtant pas sortir les joueurs de la torpeur dans laquelle ils étaient plongés. Tout était triste, sale, déprimant. Le côté pile du Las Vegas souriant et festif. Ça puait la solitude qu’on noie dans une bière sans goût et sans mousse et les dettes à rembourser. On a mis un pied dans la chambre et on a décidé qu’on n’était pas assez fatigué que pour rester là. Ezra était de bon poil, on en a profité. Et on a bien fait. En voyage, l’improvisation mène souvent à de bien jolies découvertes. On a voulu éviter l’heure de pointe et ses embouteillages. On a donc fait le tour par le désert de Mojave. On était seuls sur terre, au milieu des cactus, baigné d’une splendide lumière de fin de journée. On aurait raté ça si on s’était forcé à passer la nuit dans un endroit qui ne provoquait en nous aucune émotion. C’est parfois bon de se laisser porter et de changer d’avis. Les voyages sont là pour nous le rappeler…
13 comments
Wahou ilmpressionnant ! Je rêve de faire un jour ce road trip américain en famille et de voir tout ça. J’ai eu le frisson avec toi en lisant ta description du Horseshoe Bend… on va attendre que les enfants soient grands (et raisonnables) pour y aller 😉
En tout cas, ne leur lache pas la main. 😀
On ne se connaît pas, mais tu n’imagines pas comme tu me fais rêver à chaque post que tu publies… Je suis une inconditionnelle des USA et ce que tu vis est un peu mon rêve aussi ? (même pas jalouse ???) … Ce post ci me fait encore plus rêver… 5 fois sur la côte Ouest et dautres fois au Texas, Louis saine et floride… et je ne m’en lasserais jamais je crois!!! Ces paysages… Zion a été pour moi un énorme coup de cœur ainsi que bryce canyon et les arches (si ce n’est déjà fait, courez y!!!) et même ressenti que toi sur le grand canyon.
2 ans sans USA (maternité oblige), je suis en manque de ces grands espaces, de ce climat parfait et de visite de walmart ( qui pour moi est une activité en soi ?)… du coup, ton blog me fait du bien ! ? merci merci
Oups j’ai fait des fautes… mais bon on comprend l’idée ?
On a zappé les Arches cette fois là parce qu’on avait un temps limité mais j’aimerais bien y aller, ça a l’air dingue. Cette année, on a aussi le Texas prévu dans les mois à venir. Si tu as des infos, hotels, tips, n’hésite pas à me les envoyer par mail: seayouson@gmail.com. Mais le premier trip est la côte nord, entre San Francisco et Portland le mois prochain. Perso, c’est Target qui est une activité en soi. 😀
Époustouflant ! J’ai effectué un grand voyage en Australie et les paysages sont à couper le souffle ! Et visiblement en voyant tes photos et en lisant ton aventure notre monde regorge de magnifiques endroits à explorer ! Merci de nous en avoir fait découvrir un petit bout !
Aaaah l’Australie, ça me fait rêver aussi mais bon, ça non plus ce n’est pas à côté de la porte… 🙂
Peut-être un jour ?
Magnifique! Ca me donne envie de réaliser mon rêve, tout simplement! Quant au trou immonde que j’ai cru entrevoir, j’aurais fait partie de façon certaine des gens tapis à 100 mètres du truc, vu que 1) j’ai le vertige, 2) je n’aime pas prendre des risques 3) j’ai pas instagram.
Merci pour ce très beau road trip!
Ahaha, j’avoue, je me suis approchée pour dire de l’avoir vu un peu mais baaaah, ce fut horrible. Mon mec est resté avec Ezra. Il m’a dit: merci mais non merci. 😀
Je comprends que tu ne t’en remettes pas ! C’est juste MAGNIFIQUE ! Merci de partager cela avec nous !
Magnifique article! et superbe destination! on espère pouvoir y aller bientot!!
Je vous le souhaite!