Je me souviens de l’odeur et du cuir souple de mes Doc Martens noires. Je les portais tous les jours, persuadée de les aimer alors que je crois, avec le recul, qu’elles étaient juste le signe d’une appartenance quelconque à un groupe. Et dire que je trouvais ça rassurant à l’époque…
J’avais les sourcils froncés et en bataille, les cheveux indomptables. Je riais, criais, aimais, pleurais trop fort. Tout était puissant, intense, je claquais des portes à tout va et les erreurs me semblaient impossibles à rattraper. C’est marrant quand même ce rapport au temps qu’on a tous. Je trouvais alors que tout allait trop lentement, c’est peut-être de cette époque-là que je tiens ma capacité à parler beaucoup trop vite. J’avais l’impression que ma vraie vie m’attendait ailleurs, j’étais dans l’urgence et à défaut de me taper la tête contre mon bureau du fond de la classe tellement les journées paraissaient ne jamais finir, je tapais des pieds. Et puis enfin, le mois de juin a pris fin et avec lui des années d’ennui.
J’ai quitté le calme de la campagne pour l’agitation de la ville. J’avais enfin l’impression que ma nervosité trouvait du répondant, un partenaire. Je continuais de cavaler avec le sentiment d’avoir trouvé ma place. Cette fois, les journées n’étaient jamais assez longues pour y caser mes premières responsabilités, mes premiers jobs, mes premiers vrais amours. Hier encore, j’avais 20 ans et j’écoutais Charles Aznavour en pensant le comprendre. Je n’ai pris la mesure de ses paroles que cette semaine. « Hier encore, j’avais vingt ans, je gaspillais le temps en croyant l’arrêter et pour le retenir, même le devancer, je n’ai fait que courir et me suis essoufflé. »
Ce lundi, j’ai 33 ans. Quand j’avais 8 ans, c’était l’âge de mes parents et je les trouvais super vieux même si tout le monde me répétait qu’ils étaient super jeunes. Quand mon fils aura 8 ans, je serai à l’aube de mes 40. Quand j’y pense, j’ai envie de m’allumer une clope alors que je ne fume plus depuis des années.
Cette année, pour la première fois, j’ai hésité. Je pensais aller sur mes 32 ans. J’ai dû réfléchir, soustraire l’année de ma naissance à l’actuelle pour faire face à la réalité… Pour la première fois, j’ai eu un peu le tournis. Ce n’est pas officiellement un cap plus important qu’un autre mais ces derniers mois ont un goût plus définitif. Avec l’âge, les décisions qu’on prenait, légers, le deviennent sensiblement moins. On avait déjà posé des jalons pour l’avenir, il s’agit désormais d’ajuster le tir. Le premier appart qu’on aimait tant est devenu dans nos coeurs “un bon investissement”. On pense à s’en séparer pour plus grand: on est devenu pragmatique et un peu moins sentimental. On n’aura pas toute la vie “toute la vie devant soi”. Les grandes étapes ont été franchies, nos projets sont moins neufs, ils s’inscrivent désormais dans une continuité. Il faut pérenniser les choses, penser plus loin que le bout de son nez et que la fin de l’année. Petit Ezra deviendra grand pendant que nous, on deviendra vieux.
Et c’est là toute la question: à quel moment arrête-t-on de grandir pour se mettre à vieillir? Les enfants donc, je suppose, sont responsables de tout ce bordel temporel. On le répète mécaniquement parce qu’on n’a même plus une seconde pour y penser vraiment: tout passe trop vite. T’as à peine le temps de comprendre comment lui donner un bain sans le noyer qu’il est déjà assis dans la baignoire et qu’il se savonne le nombril tout seul. A peine le temps de comprendre que tu as accouché qu’on te demande quand tu comptes faire le suivant. A peine le temps d’admettre que tu n’es plus tout à fait plus célibataire et étourdie que tu es mariée et mère de famille.
J’ai 33 ans, des rides au coin des yeux et souvent mal au dos ; un peu de fierté quand même du chemin parcouru, des petits moments qui n’avaient pas l’air important mais qui ont finalement bien plus comptés que certains événements plus officiels plein le cœur et l’impression que le temps me file entre les doigts. L’urgence est toujours là mais elle n’est plus dans chaque seconde qui passe. Elle englobe un peu toute ma vie. J’ai l’urgence d’en faire quelque chose de valable, un truc qui compte, qui ébouriffe, qui libère la cage thoracique, crée des souvenirs et des envies d’encore.
Mais aujourd’hui, j’ai 33 ans, ça mérite bien une pause, un verre de vin et quelques bougies sur un gâteau au chocolat que je serai bien obligée de partager, encore une fois… Mais aujourd’hui, promis, je le dis sans aucune frustration.
13 comments
Très joli article! Joyeux anniversaire, c’est un âge qui te va vraiment bien dis donc!
C’est sympa!! 🙂 Merci!!
Je crois qu’on vieillit dès lors qu’on a des enfants qui, eux, grandissent…
Bon ben nous n’allons donc plus jamais arrêter de vieillir… 🙂
On a toujours hâte de grandir jusqu’au jour où finalement on se rend compte qu’on vieillit ! J’essaie de dire à mes enfants de bien en profiter et surtout qu’ils ne se pressent pas trop !
De mon côté, je me trompe souvent sur mon âge, dans un sens ou dans l’autre. Ce doit être un révélateur inconscient de mon état d’esprit !
Bon anniversaire et fête le bien !
D’un côté, quand je m’entends dire à quelqu’un de plus jeune ou quelqu’un qui n’a pas d’enfant: “Profite seulement”, je prends un coup de vieux directement. 😀 Merci, il a été fêté doublement grâce au décalage horaire entre la Belgique où sont mes proches et la Californie où je suis pour le moment. C’est assez chouette! 😉
Joyeux anniversaire
Merciii!
Très jolie plume et chouette article 🙂
Merciii! C’est sympa!
C’est un bel article sur le temps qui passe et qu’on ne voit pas passer. J’y trouve une belle résonance avec ma petite vie. 🙂
J’ai eu 33 ans il y a 1,5 mois et exactement les mêmes sentiments que vous ! C’est drôle… pourtant ce n’est pas un cap particulier…
J’ai découvert votre blog il y a quelques jours seulement et j’ai déjà quasiment rattrapé tout mon retard !
Merci pour ces jolis articles !
Et bien sûr, bon anniversaire !
Bon anniversaire Florianne! 🙂