Le 14 décembre 2012, un homme de 20 ans abattait 20 enfants de 6 à 7 ans et 6 adultes travaillant dans une école primaire américaine. Je me suis demandée: comment fait-on, quand on est parent d’une victime de Sandy Hook, pour se remettre de ça?
À cette époque, je travaillais comme journaliste pour un gros site d’infos en ligne et je vivais en Californie (J’y étais à nouveau quelques années plus tard et j’avais écrit: Je vis au pays des armes à feu, qu’est-ce que ça change?).
Je me souviens des premières images de la petite école maternelle et primaire de Sandy Hook, petite ville américaine à quelques heures de New York.
Je me souviens du chaos et puis de l’info: un homme venait de tuer 20 enfants de 6 à 7 ans et 6 membres du personnel. C’était le 14 décembre 2012, il y a 10 ans exactement.
Depuis, l’Amérique n’a toujours rien fait pour que ce type de tragédie n’arrive plus. 189 fusillades en milieu scolaire ont eu lieu aux États-Unis depuis le drame de Sandy Hook.
Hier soir, je me suis demandée, en pensant à mon fils du même âge que les petits disparus: comment on fait pour vivre après avoir perdu un enfant dans une tragédie pareille?
Je n’avais pas d’enfant à l’époque mais aujourd’hui, je me demande: comment on se remet quand on est parent d’une victime de Sandy Hook?
Comment on fait pour avancer en se répétant que notre enfant est mort terrifié et qu’on n’a pas pu le protéger?
J’ai lu pas mal de témoignages de parents endeuillés. En voici deux, qui m’ont particulièrement touchée.
Une morsure sur le bras comme dernier cadeau
Sur l’un des murs de la maison familiale, un trait au crayon marque la taille de Ben Wheeler, mesuré le 11 novembre 2012.
L’enfant est mort un mois plus tard, à « 6 ans, 3 mois et 2 jours » dans la tragédie de Sandy Hook. en vie.
Francine, la mère de Ben, confie: « Ça vous fait penser à tout ce qui a été perdu. »
La semaine avant sa mort, l’enfant, qui adorait jouer « à la tornade dans le salon », avait mordu son père, David. Il en garde une trace sur le bras.
À l’époque, David n’avait pas trouvé ça drôle. Aujourd’hui, il aime la marque que son fils lui a laissée.
« Il appelle ça un cadeau bizarre », confie Francine. « Quand vous perdez quelqu’un si jeune, parfois vous vous demandez: était-il vraiment là? Est-ce que je l’ai vraiment eu pendant 6 ans? »
Une trace sur le bras, un trait au crayon sur un mur: les souvenirs tangibles sont importants pour David et Francine.
“Il m’a dit de vivre”
Francine se souvient du décès brutal de son enfant. « Il est mort vendredi et le samedi, je mettais toutes ses affaires dans des boîtes au grenier parce que je ne pouvais pas supporter de les voir. »
La mère dévastée n’arrivait pas à toucher son sac à dos ou ses vêtements sans s’effondrer.
Francine se rappelle avoir dit à son mari, quelques semaines après le décès de Ben: « Je ne vais pas y arriver. Il m’a dit: Ce n’est pas juste Fran, tu ne peux pas nous quitter. Et Nate? Et moi?“
“Je lui ai répondu: Je ne me vois pas traverser tout ça. Et j’ai eu cette étrange expérience… Je ne sais pas si c’était mon cerveau ou si c’était vraiment la voix de Ben mais j’ai entendu Ben me dire qu’il voulait que je vive.”
“Et quand il m’a dit ça, j’ai fait un marché avec lui. J’ai dit: si tu m’aides à trouver un moyen de survivre, je le ferai.”
Un autre enfant pour ne pas mourir
Quelques mois plus tard, Francine, 46 ans à l’époque, a dit à son mari, 55, qu’elle voulait un autre enfant.
« Il me disait: nous sommes si vieux, tu es folle. J’ai répondu que c’était quelque chose qui allait m’aider à vivre et à ne pas mourir. Quand j’ai pris cette décision, j’ai commencé à faire mon deuil. »
Francine a donné naissance à un garçon, Matthew, en 2014. Pour elle, cet enfant est un miracle, un cadeau que Ben lui a donné.
Ce 14 décembre, Francine sera en mode Noël. « Les gens qui n’ont jamais vécu ce genre de perte pensent qu’on est couchés toute la journée dans notre lit et qu’on pleure. Mais ce n’est pas comme ça que le deuil fonctionne.”
“Tu ris et tu fais ton deuil. Tu fais la fête et tu fais ton deuil. Tu pleures, tu cries et tu fais ton deuil. Mais tu célèbres la vie aussi. »
Aujourd’hui, elle répète aux gens « Tu ne sais pas si demain existera. Et je sais que c’est un cliché mais les gens ne pensent pas assez à ce cliché.”
“C’était notre adieu”
Francine se souvient avec émotion de son dernier matin avec son enfant. Elle avait eu 45 minutes en tête-à-tête avec lui. Ils avaient pris un petit-déjeuner au Starbucks. Ben lui avait dit ce qu’il voulait faire quand il serait grand.
« Ce n’était plus gardien de phare mais architecte. » Ce matin-là, Ben lui a dit qu’il aimait son frère, et qu’il l’aimait, elle. « Je me rappelle lui avoir dit: c’est chouette d’être ici, rien que tous les deux. »
Francine chérit ce moment. « Je l’ai en moi pour toujours, aussi longtemps que je respire. Pour moi, c’est notre adieu. Je n’ai jamais pu lui dire adieu. Mais c’était notre adieu ».
La double perte pour cette maman
D’autres parents ont eu un destin plus bouleversant encore…
Jennifer Hensel et Jeremy Richman, eux, ont perdu leur fille de 6 ans dans la tuerie de Sandy Book.
« Elle n’aurait pas dû aller à l’école ce jour-là », se rappelait sa mère en 2017. « Nous avions prévu d’aller à New York voir The Rockettes. Mais ils faisaient des maisons en pain d’épice en classe et elle voulait absolument y aller. »
Les parents se souvenaient du chaos devant l’école, ce matin-là. Jeremy racontait: « On a fait une liste pour les familles qui ne trouvaient pas leurs enfants. Ils étaient 29. On a retrouvé trois enfants. Il y avait alors 26 personnes manquant à l’appel. » Les 26 victimes.
« Alors j’ai su », disait Jeremy. Il a attrapé les épaules de sa femme, l’a regardée dans les yeux et lui a dit: « J’ai besoin de te dire ça avant que tu l’entendes de quelqu’un d’autre. Avielle est probablement morte. »
Un an après cette interview et deux enfants plus tard, Jeremy Richman s’est suicidé à l’âge de 49 ans. Jennifer disait alors qu’il avait succombé à un deuil auquel il ne pouvait échapper.
Certains trouvent comment avancer, d’autres pas. Le deuil d’un enfant est déjà tragique en soi mais dans ces circonstances-là, c’est encore pire.
Les fusillades en milieu scolaire sont vraiment une réalité terrifiante. Je ne vous cache pas que j’y pense parfois et qu’à l’idée de retourner vivre en Californie, ça m’effraie très fort.
C’était il y a 10 ans, les parents des petites victimes ont, pour la plupart, transformé leur perte en action politique. Ils militent pour un meilleur contrôle des armes à feu aux États-Unis. Sans réel succès pour le moment.
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