Dans “Le dernier enfant” de Philippe Besson, l’auteur raconte ce que vit une mère qui voit son dernier né quitter la maison.
C’est un petit matin comme les autres. Du moins en apparence. Sauf que tout a un goût de dernière fois.
Anne-Marie le sait tandis qu’elle répète ces gestes qu’elle a fait toute sa vie: glisser les tartines dans le grille-pain, à la dernière minute sinon c’est tout sec et ça perd de son moelleux, disposer les tasses sur la table, lancer le café…
C’est la dernière fois que Théo, son troisième enfant et le dernier à vivre sous le toit familial, prendra son petit-déjeuner avec elle et son père.
Aujourd’hui, Théo déménage. Il fait ce à quoi les mères sont préparées depuis leur accouchement: il prend son envol, son indépendance, sa liberté.
Elle devrait avoir le sentiment du devoir accompli, Anne-Marie, mais elle est dévastée. Chaque geste qu’elle pose lui rappelle le bonheur auquel elle a eu droit, la vie qui est passée si vite et le silence qui l’attend désormais.
Oh, elle a bien la chance de ne pas être seule: Anne-Marie peut compter sur un mari solide, pas très bavard, mais présent. Mais savent-ils encore être un couple après avoir été parents?
Et puis, après avoir organisé sa vie autour de ses enfants pendant trente ans, après avoir mobilisé son temps, sa vitalité, sa patience, son endurance pour eux…
Après avoir eu une occupation, un but, “comment fait-on quand cette occupation disparaît du jour au lendemain? Avec quoi on remplit sa vie?”
Anne-Marie se rend compte, alors que son fils tarde à se lever, que les cartons ne sont pas prêts, qu’il va falloir se dépêcher, qu’elle n’a pas la réponse.
Philippe Besson a sorti le livre “Le dernier enfant” et décortique avec une émotion et une justesse folles les sentiments d’une mère qui a tout donné pour ceux qu’elle a mis au monde et qui ne sait pas si elle va savoir faire sans, maintenant qu’ils sont grands, maintenant qu’ils s’en vont.
Ce livre m’a bouleversée. Mon fils n’a que cinq ans et je suis déjà nostalgique du temps que j’ai passé avec lui et qui ne reviendra plus, comme de celui qui s’annonce et qu’on n’a pas encore vécu.
Je ne sais pas comment Philippe Besson a pu taper aussi juste dans la description des sentiments, lui qui n’est ni femme, ni mère, ni même parent. Il sourit et me glisse: “Je ne suis pas tout ça, mais je suis fils.”
“Quand j’ai quitté la maison, ma mère a été dévastée”
Il me raconte le jour où il a quitté sa Charente natale pour aller habiter à Rouen en Normandie et de la voiture de ses parents qui disparaissait de sa vue.
“J’avais 18 ans et j’étais dévasté parce que j’étais très proche de ma mère”, m’explique-t-il. Il a appris, bien des années plus tard, que sa mère avait pleuré sur tout le trajet du retour et qu’elle avait plongé dans un spleen profond.
Il en a été très ému: “Aucun fils n’a envie de faire pleurer sa mère”.
Mais surtout, ça l’a surpris: sa mère était encore jeune et elle avait “d’autres vies” à côté de sa vie de mère. “Ca m’est resté.”
Il n’a jamais pu en reparler avec elle: quand ils ont essayé, elle s’est mise à pleurer, même des années plus tard. “On ne s’en remet jamais.”
Philippe Besson avait envie d’écrire sur quelqu’un qui n’était pas lui. “J’aurais pu raconter ça du point de vue du fils, j’ai préféré le point de vue de la mère”, sourit-il.
Pour l’écrivain, ce que ressent cette maman se rapproche finalement de ce qu’on ressent lors d’une rupture. “Cette femme traverse une gamme de sentiments: un sentiment d’abandon d’abord, parce qu’elle perd l’être aimé et qu’est-ce qu’on fait face à ça?”
“Comment on se débrouille avec le manque, la frustration, avec le regret et les choses inabouties qu’on ne s’est pas dites et qu’il est trop tard pour se dire maintenant?”
“Elle devrait avoir le sentiment du devoir accompli mais elle est rongée par la culpabilité de ne pas en avoir fait assez.”
“Elle a une peur qui est, je crois, la peur immémoriale des mères, qui est: mon enfant n’est plus protégé, je ne serai plus là pour le protéger. Il y a aussi une peur face à l’horizon inconnu qui s’ouvre devant elle.”
“Quand votre enfant s’en va, il est rare qu’il revienne”
“Anne-Marie a choisi de se consacrer presque essentiellement à son rôle de mère et du coup, elle ne sait pas comment redevenir femme, comment redevenir épouse, amante, comment avoir une vie à côté?”
“Moi qui me définis comme un écrivain du sentiment, je me suis dit: ça je sais faire. Je sais raconter ça. Au fond, cette perte, elle relève des mêmes mécanismes que la rupture amoureuse.”
“Ou même du deuil. Il y a quelque chose d’irréversible: quand votre enfant s’en va, il est rare qu’il revienne. C’est terminé. C’est fini alors que l’autre est encore là, il est encore accessible.”
“Ca vous oblige à vous poser des questions: est-ce que c’est la fin des jours heureux? Il y a aussi l’idée que le temps passe vite. Anne-Marie dit ça.”
Elle parle de la vie, de sa vie.” Philippe Besson se fait pensif: “Ça, c’est très personnel: je suis dévasté par ça. On n’a pas profité des choses, pas avec assez d’intensité, on n’a pas tout compris, sauf que voilà, c’est terminé.”
Il m’interpelle: “Votre enfant n’aura plus jamais trois ans, il ne fera plus jamais ses premiers pas.” Je chasse un frisson d’effroi à cette idée. Il ajoute: “Il faut gérer tous ces jamais plus”.
“C’est très concret, le vide”
Philippe Besson insiste: “En plus, c’est très concret le vide. Ce n’est pas seulement le vide intellectuel et théorique. Pour l’avoir vécu dans la rupture amoureuse, je peux le dire.”
“Quand vous rentrez à la maison et qu’il n’y a plus de bruit, plus de désordre, plus d’affaires, et que vous savez que ça ne reviendra jamais, c’est l’horreur.”
“Je me souviens d’une rupture amoureuse, je suis revenu dans l’appartement après avoir fait le déménagement de l’homme avec lequel je vivais, j’étais au milieu de cet appartement vide, c’était horrible, c’est très concret.”
“Alors imaginez… Vous rentrez dans la chambre de votre fils, il n’y a plus les posters, c’est horrible. C’est illusoire de penser que ça ira.”
Je n’ai aucun mal à imaginer que le départ de mon fils me brisera le cœur, d’ici quelques années. Alors que pourtant, on fait des enfants en sachant qu’ils partiront un jour.
Quand ils ferment la porte pour vivre leur propre vie, on devrait être heureuses du travail accompli. On a réussi à en faire des adultes libres et confiants.
“C’est l’événement le plus prévisible, attendu, le plus ordinaire qui soit”, souligne Philippe Besson. “On ne peut pas dire: je ne savais pas. Mais alors pourquoi, bien qu’on sache que ça va arriver, on le vit comme ça?”, s’interroge-t-il.
L’enfant qui s’en va remet ses parents face à face
Peut-être parce que le dernier enfant qui quitte le nid remet ses parents face à face? Quand il y avait du bruit, de la vie, il y avait de quoi combler le silence.
Et maintenant? “Il y a pas mal de séparations après le départ des enfants”, note Philippe Besson. “Quand les parents se retrouvent seuls, ils ne se souviennent pas comment être un couple.”
“Entre Anne-Marie et son mari, il n’y a pas eu de passion flamboyante au début, ils n’ont donc pas à rallumer le feu d’une passion gigantesque. Mais en même temps, elle a choisi cet homme parce qu’il incarnait la stabilité.”
“Parce qu’il allait s’occuper d’elle. Ses parents venaient de mourir, elle avait besoin de ça à ce moment-là. Trente ans après, elle se souvient que c’est pour ça qu’elle l’a choisi.”
“Je voulais raconter des gens tout simples, qui s’aiment très clairement même s’ils s’aiment sans se le dire. On n’est que dans des drames ordinaires.”
“Quand j’écrivais, ça me faisait penser au personnage de Francesca, la mère dans le film Sur la route de Madison. Elle s’est dévouée à ses enfants, à son mari et tout à coup, tout se disloque.”
“Elle se rend compte que peut-être, ce n’est pas ça, la vie qu’elle voulait. C’est ce qui m’intéressait: à un moment, vous prenez conscience de ce qu’est votre vie.”
“Et Francesca au final, elle ne choisit pas le photographe. Elle choisit de rester avec son mari et ses enfants. Elle a la main sur la poignée de la portière mais elle ne l’ouvre pas.”
“Anne-Marie est comme ça, elle se dit que finalement, cette vie, ça lui va.”
Dans “Le dernier enfant” de Philippe Besson, l’émotion se trouve dans les détails. Au final, “Anne-Marie, c’est juste une femme qui prépare le petit déjeuner le matin.”
“Quand j’ai commencé à écrire, je me suis dit: je suis quand même en train de commencer un livre par une femme qui fait griller des toasts. Au moment où vous écrivez la phrase, vous la tremblez un peu”” se marre-t-il.
“Mais je savais que je voulais la raconter par des détails, par des gestes ordinaires. C’est là qu’elle se révèle. Mais elle ne pense pas à tout ça, sinon elle s’écroule.”
“Et c’est ça qui m’intéresse. Non pas de dire: Anne-Marie est une femme qui vacille. Mais Anne-Marie se raccroche à sa tartine, à son grille-pain et à ses géraniums, pour tenir debout.”
“Le dernier enfant” de Philippe Besson se lit vite et on le referme avec l’urgence de profiter des petits matins pressés, des nuits en pointillé, des petites joues qu’on embrasse et qui ne se dérobent pas encore.
Un joli rappel pour n’importe quelle mère.
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C est tardif pour couper le cordon…? M. BESSON a un talent fou pour décrire les émotions. Un livre que je lirai volontiers.