Ceci est le premier article du blog seayouson.com, il parle du premier jour de notre expatriation en Californie.
Ça traîne pendant des années, pendant les années où on se traîne, celles où on n’est pas malheureux mais pas tout à fait joyeux non plus.
Ça macère, ça s’en va, ça revient, ça chatouille les neurones dès le réveil et puis ça se terre en silence sous le canap’ les dimanches de pluie et de déprime, prêt à nous sauter à la gorge.
On y pense comme un vieux rêve, comme un truc qu’on fera quand on aura de l’argent, du temps ou moins peur. On se projette à la retraite, on calcule les années qu’il nous reste. On va vraiment attendre jusque-là ?
On a peur de tout quitter
On fait des listes, des pour, des contre, des mots qui essaient de nous convaincre qu’on fait bien de rester quand on a juste envie de partir et d’autres qui nous disent qu’on ferait bien d’y aller au lieu de causer.
On a peur de les quitter, ces vendredis plein d’amis, cette vie pas forcément bien organisée mais rassurante puisque c’est celle de d’habitude, qu’on l’a déjà retournée dans tous les sens et qu’on sait désormais par quel bout la prendre.
On a peur de bouleverser le petit et puis les vieux, qui y sont attachés. On se trouve des excuses, des projets à réaliser avant.
On s’offre un week-end pour dire d’avoir pris l’air, une destination pas trop loin parce que bon, lundi arrivera vite, et on revient avec le souffle encore plus court.
Ouvre les fenêtres, on étouffe ici !
Et puis, il y a un jour de trop…
Et puis, il y a un jour de trop, une opportunité, un grain de sable qui déglingue toute la machine, un cri silencieux qui vient du ventre, un truc profond qui devrait nous troubler mais qui s’avère étrangement naturel.
Ah oui, on se rappelle : ça traîne depuis des années. On avait la tête en vrac : elle installait ses petites barrières de sécurité, parce que ne t’avise pas de déconner, faudrait pas trop aller jusqu’au bout de ses rêves dans la vie, c’est pas fait pour.
Mais pendant que notre raison faisait le job qu’on lui a demandé, notre cœur a fait pile ce pour quoi il est destiné : il a accéléré la cadence et a porté nos pas.
Le gamin a dit au revoir à ses copains, on a tourné la clé une dernière fois dans la porte mal sécurisée qu’on avait promis de changer quand on a acheté l’appart il y a cinq ans et on a concrétisé nos envies d’ailleurs.
On a pollué un peu plus la planète en prenant un avion qui a traversé un océan et un continent complet. On était à peine parti que le petit ne l’était déjà plus tant que ça.
On s’est imaginé sa tête chevelue, sa petite voix trop aiguë et ses pieds encore plus grands au retour. Les voyages forment la jeunesse et font pousser les petits garçons trop vite.
On a eu de la chance : on n’a pas eu de turbulences. On en a eu un peu moins : on n’a pas revu nos bagages à l’arrivée.
Il faut du temps pour savoir ce qu’on est venu chercher
Dans la voiture de location, le volant était chaud et on avait le bourdon. On se posait des questions avant de partir, on s’en posait autant à l’arrivée.
J’avais les yeux qui piquent, j’accusais la clim’, la fatigue, la chaleur, la dépossession de mes fringues. Sur la banquette arrière, les cheveux collés au front par la sueur, le petit n’essayait pas de faire semblant. Il pleurait son ras-le-bol, on lui répétait qu’on était « bientôt arrivé ».
Après des miles et des miles avalés sur une autoroute immense, un champ d’éoliennes traversé en silence, je regardais le soleil se coucher dans le rétro en me demandant justement : où était-on arrivé ?
On croit qu’on atteint notre objectif en même temps que notre destination, une adresse pointée en rouge sur l’écran d’un smartphone.
Mais il faut du temps pour savoir ce qu’on est venu chercher, ce qu’on a fui et ce qui nous donnera ou non envie de revenir.
Le bleu californien du ciel n’existait plus, le soleil tirait sa révérence, l’horizon était en feu. J’ai coupé le moteur, toujours sans un mot. On a posé le pied sur un sol inconnu avec notre famille pour seul repère.
L’air était brûlant, on aurait pu entendre l’asphalte crier à l’aide et on s’est entendu dire qu’on allait mourir.
En claquant la portière, je me suis dit que finalement, c’était probablement mieux ici que de là où je viens, à petit feu.
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