C’était il y a des années. Dans une autre vie et avec un autre amoureux. Megan Markle a récemment raconté sa fausse couche et j’ai trouvé ça très bien qu’elle en parle.
Parce que je me souviens que lorsque j’ai fait une fausse couche précoce, il y a quelques années, je pensais être la seule à avoir vécu ça dans mon entourage. Personne n’en avait jamais parlé autour de moi et il a fallu que ça m’arrive pour que les langues se délient. Et encore… Pas toutes…
On dirait, encore aujourd’hui, que la fausse couche est vue comme un “raté”, comme un truc qu’on a “mal fait”, dont on a un peu honte.
J’avais envie de vous mettre ici le chapitre que j’y ai consacré dans mon livre, “Journal de bord d’une maternité décomplexée” (en vente ici ou ici ou ici) parce que c’est important de libérer la parole.
Parce que je crois que plus on en parlera, plus ça rassurera les prochaines à qui ça arrivera. Si vous atterrissez sur cet article parce que vous êtes en plein dedans, sachez que je pense à vous.
J’ai cru que je n’oublierais jamais la date. Qu’elle resterait ancrée en moi pour toujours. Que j’y penserais chaque année. C’était faux. J’ai dû chercher pour la retrouver. C’était le 4 septembre 2008.
Je ne me souvenais pas de la date mais je me souviens avec précision de la fraîcheur de ma couette sur mon corps recroquevillé et des rideaux de la chambre que j’avais fermés.
Je voulais empêcher la lumière d’entrer dans la pièce: elle était trop éclatante. C’était une lumière brutale, sans filtre, qui fait du bien les jours où tout va bien mais qui brûle la rétine les jours d’anéantissement.
J’avais besoin d’obscurité pour envelopper ma peur. Et la peine qui n’allait pas tarder à tout ravager.
Je me souviens de ce coup de fil qui ne venait pas. J’avais vu ma gynécologue un peu plus tôt dans la semaine. Elle avait froncé les sourcils et m’avait envoyé faire une prise de sang.
Je savais déjà ce qu’elle allait me dire au téléphone mais je me répétais en boucle : si mon téléphone sonne dans les 10 secondes à venir, c’est que tout va bien.
1, 2, 3… 10. Le téléphone restait silencieux.
Il m’avait dit quelques semaines auparavant: “Viens, on fait un bébé”. Je m’apprêtais à quitter la pièce. La décision a été prise sur le pas de la porte.
C’était un coup de tête, un coup de folie, c’était un jour heureux et ce qu’on croyait être de l’amour. C’était une autre époque et un autre amoureux.
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Lapidaire, sans émotion particulière
Le téléphone a fini par sonner. Elle m’a dit : “Les résultats de la prise de sang confirment ce que j’ai vu à l’échographie. Le fœtus n’est pas viable. Il va être expulsé naturellement.”
“Vous allez perdre du sang. Si vous avez l’impression que vous en perdez trop, allez à l’hôpital vous faire ausculter. Il y aura une échographie de contrôle d’ici quelques semaines pour être sûr que tout est bien parti.”
“D’ici-là, protégez-vous lors de vos rapports. Courage”. C’était bref. Sans émotion particulière. Lapidaire. Efficace. Informatif. J’étais effondrée.
Elle m’avait dit que ça ne “devrait pas tarder”. Elle avait raison. Le lendemain, je fixais ce qui aurait dû être mon bébé au fond de la cuvette des toilettes.
J’étais seule, la culotte sur les chevilles, le cœur dans la gorge, les mains sur le bide. Je me souviens de ma colère, de ma peine abyssale mais surtout de ma culpabilité. Je me demandais sans cesse si j’avais fait quelque chose de mal.
Aurais-je pu faire différemment pour faire en sorte que “ça marche”? On me disait que c’était sûrement mieux comme ça. J’aurais préféré être sourde que d’entendre ça.
Douze ans plus tard, je sais que c’était vrai: ce n’était pas le bon moment, ni le bon amoureux, c’était vraiment mieux comme ça.
Une fausse couche précoce
J’ai fait une fausse couche précoce. Une fausse couche qui survient avant la fin des trois premiers mois de grossesse. On m’avait dit que ça arrivait souvent, j’avais lu que ça concernait une femme sur quatre, je ne comprenais pas les statistiques.
Il a fallu que je parle tout haut de la mienne pour que les langues se délient. Trois de mes copines avaient fait une fausse couche, aucune n’en avait parlé.
On attend généralement trois mois avant d’évoquer une grossesse. On dit alors que le risque de fausse couche est passé. Le silence que l’on garde sert finalement à dissimuler la honte qu’on ressentira si le fœtus ne s’accroche pas.
Une honte entretenue par le fait que personne ne parle de la fausse couche si elle arrive. C’est le serpent qui se mord la queue et des milliers de femmes qui pleurent en ayant l’impression d’être seules.
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“Bonne continuation”
L’échographie de contrôle a été faite dans un hôpital universitaire. J’avais les jambes dans les étriers, le moral à zéro et trois étudiants concentrés face à moi. J’espérais en finir, j’ai dû revenir. Une zone étrange détectée lors de l’écho. À évacuer au plus vite pour éviter l’infection.
J’ai été hospitalisée une journée. Mes souvenirs sont flous mais je me sais qu’on m’a administré un produit pour déclencher les contractions et expulser ce qui devait encore l’être. J’ai souffert, j’avais mal au ventre, mais rien n’est jamais sorti.
L’étudiant qui m’avait examinée avait, en fait, fait une erreur de jugement: ce qu’il avait cru voir de problématique à l’écran était en réalité tout à fait normal.
On m’a dit ça en début de soirée, après une journée interminable à souffrir en écoutant des bébés nés en pleine forme s’époumoner dans la pièce à côté.
“Désolée mademoiselle, finalement tout va bien, vous pouvez rentrer chez vous. Bonne continuation.” Je suis sortie de l’hôpital encore plus seule que lorsque j’y étais rentrée.
Une fausse couche d’une banalité sans nom
J’ai fait une fausse couche et c’est d’une banalité sans nom. J’ai fait une fausse couche et personne ne prenait mon désarroi au sérieux.
J’ai fait une fausse couche et j’étais en colère contre mon corps, incapable de faire ce qu’on lui demande, et contre ces femmes qui avaient le toupet d’être enceintes alors que je ne l’étais plus. J’en voyais partout, tout le temps. Je ne voyais plus que ça.
Ces ventres qui grossissaient me rappelaient que le mien restait désespérément plat. J’étais en colère contre mon amoureux dont la vie avait repris son cours, comme si de rien n’était, qui continuait à rire et à m’embrasser, alors que j’avais les yeux perpétuellement embués.
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On m’a dit « tu en feras d’autres », « c’était même pas encore un bébé », « la nature est bien faite », « ça va, c’est arrivé tôt », « au moins, tu peux passer à autre chose ».
Personne ne m’a dit que c’était normal d’avoir mal au cœur. Personne ne m’a ouvert les bras pour me laisser pleurer un bon coup.
La fausse couche, c’est une porte ouverte qu’on nous claque subitement au nez, sans explication. La fausse couche, quand elle survient si tôt, n’est concrète que pour celle qui la vit.
Personne n’a vu le ventre s’arrondir, même pas le futur papa. Rien n’indiquait l’existence d’un bébé à venir. Et on ne croit que ce qu’on l’on voit, c’est bien connu.
La fausse couche est d’une banalité sans nom et pourtant personne n’en parle. Alors je vous en parle et je vous le dis : vous n’êtes pas seule.
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4 comments
Un texte très émouvant, merci pour ce témoignage.
Merci Déborah !!! Du fond du cœur ??? c’était il y a deux ans, ce n’était effectivement pas le bon moment et aujourd’hui je remercie la vie car j’ai pu retomber enceinte quelques mois plus tard, quand tout était réuni.. mais c’était dur…atrocement dur. Et comme une impression qu’il est interdit d’avoir de la peine, car ce n’était pas viable.. même si au fond j’avais un pressentiment, dans ma tête, c’était viable.
Je partage et j’encourage le monde à en parler.. J’ai lu une femme sur 3.. c’est énorme.
Merci! J’ai repris la mienne dans la gueule en lisant ton texte, et puis je me suis dit qu’on était plus nombreuses que ce que je pensais. Et ça fait du bien.
J’ai eu le droit aux erreurs médicales aussi… c’est un enfer, et ça m’a suivi sur une bonne partie de ma 2eme grossesse.
C’était en mars 2014. A 2 jours de mon anniversaire si mes souvenirs sont bons. Une période qui m’a paru interminable et dont je pensais ne jamais me relever. Et pourtant…
Quelques mois plus tard j’étais enceinte de jumeaux ! Mais comme « la 1ère fois » j’étais étrangement zen et que ça s’était mal terminé, j’ai laissé ma nature anxieuse reprendre le dessus pour cette grossesse. Et à 35 semaines, mes Schtroumpfs ont pointé leurs nez !
Tes mots résument tellement bien ce que j’ai ressenti, merci !